Pas facile de faire le compte rendu d’un roman aussi touffu, fourmillant de personnages et de rebondissements, courant sur tout un siècle, de l’offensive coloniale allemande en Chine, vers 1900, jusqu’à la fièvre du capitalisme sauvage qui s’est emparé du pays à partir des années 80. Une brique de 895 pages, en petits caractères, qui a sans doute pesé dans la balance au moment de l’attribution à l’auteur Mo Yan du prix Nobel de littérature 2012, auteur par ailleurs prolifique et ayant à son actif des dizaines de contes, essais et romans.
Essentiellement, nous suivons les tribulations de la famille Shangguan soit de la mère, veuve d’une force et d’un courage hors du commun, de ses huit filles et de son unique garçon dans un pays où la fille ne vaut pas cher le kilo. S’ajoutent à ce noyau les gendres, les villageois, les belligérants qui investiront à tour de rôle leur demeure et leur village, faisant subir à tous ces protagonistes bien des calamités au nom de leur bonheur, de leur mieux-être ou de leur liberté.
La plus grande partie du récit est le fait du fils, Jintong, l’Enfant d’Or, entiché des seins de sa mère, qui le nourrira jusqu’à un âge déraisonnable, ensuite dépendant des pis de la chèvre qui prendra le relais. Il cultivera tout au long de sa vie un amour immodéré des seins des femmes. D’où le titre Beaux seins, belles fesses.
L’ode aux glandes mammaires, de toutes formes et de tous âges, qui traverse le livre, allège la description insoutenable des blessures et des sévices auxquels peu échappent sous le rouleau compresseur des invasions, des guerres et des révolutions qui déciment tant la famille que les villageois. De même, le style quasi fantastique de certains passages rend supportable la dureté de l’ensemble de l’œuvre, dureté sans doute en reste sur les souffrances réellement subies par le peuple chinois, et par les femmes en particulier, notamment au cours du 20e siècle. Je serais d’ailleurs tentée d’interpréter la citation suivante comme une exhortation de l’auteur à réinventer la place des femmes dans le monde : « L’humanité de se sentira bien que si l’on prend bien soin des seins. »
Il ne m’a pas été facile de m’introduire dans cette épopée insolite, mais je m’y suis laissée prendre petit à petit pour finir par être captivée par ce condensé d’histoire récente de la Chine, pays énigmatique, mais de plus en plus prégnant dans notre vision du monde. « Une fresque délirante et sensuelle, truculente et poétique, longtemps interdite en Chine », peut-on lire en quart de couverture. Pour qui n’a pas peur du dépaysement.
Mo Yan, Beaux seins, belles fesses, Éditions du Seuil, Collection Points, 2004, 895 pages.