Au fond de ma rétine, de gros sourcils noirs, épais, et des poches de vêtements bourrées de livres avec un journal qui dépasse, tel m'apparaît Ramon Puig.
Ouvrier vernisseur, il a dû offrir des livres à la moitié de Toulouse. Et pas au hasard. " Tiens, j'ai quelque chose pour toi..." Il tirait de ses poches pleines comme des sacoches de bicyclette, un volume, de la psychologie, un essai, un roman, des poèmes. Il furetait chez les libraires pour trouver ce qui convenait à chacun. Il se ruinait en livres...
Souvent, à la mort de personnes qu'on estime, des regrets assaillent. Je m'en veux encore de ne pas l'avoir davantage visité, lors de la maladie qui devait l'emporter.
Depuis, à la moindre occasion, j'évoque avec tendresse, sa personnalité. Je n'oublie pas son cadeau de mariage : L'Histoire de l'art, d'Elie Faure, reliée de ses propres mains. Je n'oublie pas qu'il fut le premier à me faire éditer : La pensée politique d'Albert Camus, mon mémoire de maîtrise universitaire.
La vie ne l'avait pas épargné, avec la mort d'une fille en bas âge, mais son humanisme l'avait aidé à traverser toutes ses tragédies de la guerre d'Espagne durant laquelle il avait été maire de Ripoll. Il vivait avec sa vieille mère dans un tout petit appartement, sans confort, comme la plupart dans les années 1950.
Quand j'emprunte cette route de Blagnac à Toulouse, la maigre silhouette de sa mère, derrière les carreaux, se dessine.
Je le revois, lui, à la descente de l'autobus numéro 1, qui effectue encore aujourd'hui le tour de Toulouse, veste et pardessus déformés par le poids des livres. Cela lui donnait l'allure d'un cow-boy du savoir, avec toujours un livre prêt à dégainer... Marche, marche sous ces platanes tant que ma mémoire durera.
Progreso Marin, Exilés espagnols : la mémoire à vif, Loubatières, 2008.