Concorde… Concorde… Attention à la marche en descendant du train. Please mind the gap between the train and the platform. […] Biiip. Les portes du métro se referment violemment, claquant au nez de quelques essoufflés hargneux.
Dommage. Les yeux d’Émilie se détournent vite de ce spectacle quotidien pour retourner effleurer quelques lignes de son bouquin. Mais, l’esprit ailleurs, le livre lui sert aujourd’hui davantage à se donner une contenance, les mots s’échappant, éparpillés dans tout le wagon.
Trente ans à peine, et déjà tellement fatiguée. De ce métro-boulot-dodo indigeste. De cette vie dont elle a l’étrange sentiment de passer à côté. À être toujours là, où elle doit être, où on attend qu’elle soit. Là, même si au fond elle préférerait être ailleurs. Peu importe où, mais ailleurs que là. Ce « là » qu’on lui pointe du doigt. Oui, évidemment, je serai là comme convenu. Comme convenu. À votre convenance. Son goût, à elle, ça faisait bien longtemps qu’elle l’avait enfoui, ailleurs. Mais finalement, sur la portée de la vie, c’est le si qu’elle avait toujours préféré.
Do, ré, mi, fa, sol, la, si. C’est chouette un si. C’est le conditionnel, la proposition, l’éventualité, le pourquoi pas. Ça peut se transformer en un la, mais peut-être pas. Pas comme ce tranchant Soyez là. Et si, justement, elle n’y était pas, là ? Au fil du temps, engluée dans ce quotidien, n’avait-elle pas fini par faire partie du décor de cette vie qui lui glissait entre les doigts ? Oh, bien sûr, son patron aurait tôt fait de s’apercevoir de son absence. Mais, si elle n’y était pas, là, le métro calmerait-il sa course effrénée pour autant ? La boîte dans laquelle elle n’est qu’un pion, coulerait-elle ? Le monde cesserait-il de tourner en attendant qu’elle soit enfin là ? Vraisemblablement, non.
Liberté… Liberté… Perdue en son paysage intérieur, Émilie sursaute. Arrêt République manqué. Rapidement, elle se lève et bondit sur le quai avant que les portes du métro ne se referment violemment derrière elle. Biiip. Liberté. Peut-être un signe. Aujourd’hui, elle ne sera pas là. Tant pis. Tant mieux. Elle sera, point. Enivrée par cette euphorie nouvelle, elle court dans le métro pour enfin rejoindre le monde extérieur et respirer à pleins poumons cette liberté chérie.
Au-dessus des escaliers, un panneau la stoppe dans son élan, la narguant sournoisement. Vous êtes là. Et merde, ils l’avaient déjà retrouvée.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.
Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis, au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)
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