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Jericho

Par Ledinobleu

Jaquette DVD de l'édition française intégrale de la série TV JerichoAprès cinq ans d’absence, Jake retourne enfin à sa ville natale de Jericho, bourgade du Kansas. Mais alors que les retrouvailles familiales tournent à l’aigre et que Jake fuit encore son foyer, une catastrophe sans précédent embrase soudain tout les États-Unis quand des bombes nucléaires en rasent les plus grandes villes en quelques instants. Guerre ou attentat ? Combien de survivants ? La nation existe-t-elle toujours ? Isolés au milieu de nulle part, les habitants de Jericho se retrouvent livrés à eux-mêmes…

On connaît bien à présent le mécanisme psychologique de survie – faute d’un meilleur terme –  : en repoussant le souvenir des expériences malheureuses dans l’inconscient, on ne conserve à la surface de l’esprit que les souvenirs les plus agréables ; ainsi le passé apparaît-il toujours plus beau à chaque jour nouveau, un processus d’ailleurs illustré à merveille par des expressions aussi célèbres que « c’était mieux avant » ou encore « tout fout le camp » – les variations sur le thème ne se comptent plus…

Période de crise oblige, je parle de celle provoquée par les chocs pétroliers des années 70 et que conforta la chute du communisme en laissant les mains libres à l’hypercapitalisme ultralibéral, les difficultés du présent rendent le futur pour le moins incertain et l’espoir que les choses s’arrangent encore plus douteux. Voilà comment on se replie sur les valeurs d’antan, ce que les experts en marketing et en communication savent très bien – c’est leur métier après tout – : ainsi assiste-t-on depuis un certain temps à un retour en force des iconographies des années 50, dernière période bénie de l’Histoire où, la Seconde Grande Guerre enfin terminée, on pensait assez naïvement que les choses ne pourraient que s’arranger toujours.

Car cette époque marquée par des progrès économiques, sociaux et techniques sans précédent se doublait aussi, hélas, de craintes nouvelles. On peut compter parmi celles-ci la peur, vite devenue une psychose collective, d’une guerre nucléaire – c’est-à-dire de la fin du monde, pour simplifier. La science-fiction de l’époque, en littérature ou au cinéma, en fit bien sûr ses choux gras ; pourtant, ce thème ne présentait rien de nouveau puisqu’il remonte au moins au texte The World Set Free (1914) d’H.G. Wells (1866-1946) (1) : il fallut Hiroshima et Nagasaki pour comprendre qu’il pouvait très vite dépasser le cadre de la fiction pour entrer de plein pied dans celui de la réalité la plus angoissante (1)

Ainsi, et à l’instar de très nombreuses autres créations depuis une petite dizaine d’années maintenant, Jericho cristallise-t-elle ce désir de revenir à une époque antérieure jugée plus clémente, à tort ou à raison, en remettant au goût du jour le thème pour le moins ancien, voire même fondateur sous bien des aspects de la destruction du monde par l’arme nucléaire – ou en tous cas du monde des protagonistes du récit… L’attitude des auteurs de cette série se montre certes paradoxale, puisque le retour en arrière se double de la résurrection d’un spectre particulièrement hideux, mais elle reste somme toute assez typique des conteurs : l’inspiration première du besoin de retourner en arrière se double ici d’un autre besoin, celui, fondamental, de ces épreuves pour les protagonistes de l’histoire sans lesquelles il ne peut y avoir de récit. Les chemins de la création s’avèrent souvent tortueux.

Pourtant, cette production sait aussi se montrer d’actualité en jouant sur les doutes et les questionnements de ses différents personnages comme ceux de ses spectateurs puisque la crainte de l’attentat terroriste à grande échelle se trouve à maintes reprises évoqué dans le récit. Oussama ben Laden vivait encore à l’époque de la diffusion de Jericho à la télévision américaine…

Néanmoins, on apprécie de voir le récit suivre deux axes très différents tout au long de ses deux saisons, et à chaque fois avec une certaine originalité. Ainsi, le thème des survivants de l’holocauste nucléaire sait sortir des sentiers balisés, et devenus un peu caricaturaux, par une certaine science-fiction post-apocalyptique, en particulier au cinéma – inutile de citer des exemples. On apprécie en particulier de voir la destruction de la civilisation suivie par des tentatives pas toujours vaines de maintenir ce qu’il reste de celle-ci, voire de la reconstruire sous une autre forme, ce qui, au fond, reste un truisme du genre (2) même dans ses incarnations les plus spectaculaires : on rejoint là un aspect fondamental de cette science-fiction dite « classique » qui se veut optimiste car même en dépeignant la fin d’un monde, elle décrit aussi la naissance du suivant – un accouchement certes long et tumultueux mais aussi un espoir pour un futur meilleur malgré tout.

Enfin, le second axe, beaucoup plus inattendu dans un tel registre, demeure celui qui se montre le plus intéressant par la manière dont il colle à ce qui à l’époque de la diffusion de cette série restait une actualité encore à venir. Si des commentateurs déplorent de voir le récit tourner ainsi lors de sa seconde saison à ce que certains d’entre eux n’hésitent pas à qualifier d’un ressort narratif digne de la « théorie du complot », force est de constater que ce scénario de reconstruction des États-Unis qu’il présente frappe au cœur de cette conscience américaine écartelée entre individualisme et patriotisme en dépeignant une nation pour ainsi dire vendue aux intérêts privés – impossible de me montrer plus précis sans spolier (3) le lecteur.

On peut aussi mentionner brièvement un dernier axe, celui de la guerre civile qui donne d’ailleurs son titre à la troisième saison de Jericho, suite parue sous forme d’une courte série de bande dessinée seulement. Un autre thème assez peu innocent lui aussi dans la conscience américaine puisque c’est le terme qu’utilisent les étatsuniens pour désigner ce que nous autres européens appelons la Guerre de Sécession et qui marque encore ce pays bien plus profondément qu’il le voudrait.

À ceci s’ajoutent les inévitables techniques narratives des scénarios de série TV américaines qui, comme chacun le sait, témoignent presque toujours d’une efficacité aussi redoutable que sans faille. Si celles-ci montrent une légère tendance au remplissage dans la première saison, la seconde présente au contraire une concision remarquable qui, encore une fois, en fait le segment le plus intéressant de cette production hors norme.

Pour ses thèmes comme pour l’originalité de son approche, au moins dans les productions du genre sur le média audiovisuel, Jericho s’affirme comme une des productions de science-fiction les plus remarquables de notre siècle sur le petit écran : à voir et peut-être même à revoir !

(1) Jacques Goimard, Le Thème de la fin du monde, préface à Histoires de fins du monde (Le Livre de Poche, collection La Grande anthologie de la science-fiction n° 3767, 1974, ISBN : 978-2-253-00608-4).

(2) Demètre Ioakimidis, De l’Intérêt à survivre, préface à Histoires de survivants (Le Livre de Poche, collection La grande anthologie de la science-fiction n° 3776, 1983, ISBN : 978-2-253-02579-5).

(3) en français dans le texte.

Séquelle :

Outre la troisième saison sous forme de comics en six numéros évoquée ici et titrée Jericho Season 3: Civil War (Idea & Design Works, août 2011, ISBN : 978-1-600-10939-3), le récit de Jericho se poursuit à travers une quatrième saison, elle aussi sous forme de narration graphique, dont le premier chapitre doit paraître en juin 2013. Comme pour la troisième saison, cette suite sera écrite par les scénaristes de la série TV originale.

Jericho, 2006-2007
CBS, 2009
2 saisons, env. 30 €


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