Mais qui veut donc la peau des 24 loups ?
par Fabrice Nicolino
Résumons la situation. En règle générale, les humains ne tolèrent aucune concurrence. Eux seuls ont le droit d’occuper le monde, de torturer, d’éliminer. Le Loup, qui habitait les terres qu’on appelle la France depuis des centaines de milliers d’années - peut-être davantage que nous -, a été buté par les soudards habituels. Des primes d’État, de la strychnine, des coups de fusil, et bon débarras. Au tout début des années Trente du siècle écoulé, le Français de souche était enfin tranquille. Seul, rotant, égrotant à l’occasion, mais peinard.
Et puis le Loup est revenu. Seul, contrairement à ce que fantasment tant de crétins. Seul. Depuis ses refuges italiens des monts Apennins, où il n’avait jamais disparu. En 1992, il est vu dans le Mercantour, au-dessus de Nice. Comme c’est un athlète accompli, comme c’est un aventureux personnage, il n’a cessé depuis d’avancer. Les Alpes, puis la vallée du Rhône, la ligne TGV, l’autoroute, le fleuve. Il a installé quelques compagnons dans les Cévennes, il a été vu dans le Gers, il a poussé même jusqu’aux Pyrénées catalanes. Je crois que l’on peut appeler cela un miracle.
Combien sont-ils ? Peut-être 250, peut-être un peu plus, alors qu’ils étaient aux environs de 25 000 au moment de la Révolution de 1789. Il y en a 2500 en Espagne, sans doute 1200 en Italie. Mais la France éternelle retrouve, intactes, ses mœurs barbares. Le député socialiste de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), Christophe Castaner, vient d’annoncer en fanfare que 24 loups pourraient être légalement abattus en cette année 2013. Cela donne un article burlesque, tiré d’une dépêche de l’AFP (ici) , où le faux le dispute au controuvé. Mais commençons par rire. Le communiqué tautologique de Castaner annonce délicieusement « un accord unanime accepté par tous ». À trop vouloir prouver, on finit par se ridiculiser.
Mais l’important est ailleurs. Le titre dit en effet : « Ecolos et éleveurs d’accord sur le nombre de loups à tuer ». Est-ce vrai ? Bien sûr que non. Castaner se fabrique une place dans les journaux télévisés grâce au Loup, voilà à peu près tout. On n’a pas assez dit combien de roitelets de province, qui de droite qui de gauche, à propos du Loup ou au sujet de l’Ours, ont bâti de la sorte leur image publique. Certes, il est plus facile d’encourager les tirs sur le loup que de régler le sort du pastoralisme en France. Cette activité, sans solution de continuité chez nous depuis le Néolithique, est proche de l’extinction à cause de l’évolution mondialisée de l’économie, que soutient de toutes ses forces le député Castaner. Mais comme il n’a aucunement l’intention de risquer sa carrière pour les bergers, il se contente de servir la soupe aux porteurs de flingots. C’est bien.
Le Plan National Loup prévoit un plafond de 24 loups à tuer.
Cette pantomime commune s’inscrit dans le cadre d’un Plan Loup 2013-2017, annoncé le 5 février par la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, et le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Sa philosophie repose sur une indifférence fondamentale aux gravissimes questions posées par l’effondrement de la biodiversité. Ces gens s’en cognent totalement. Oui aux colloques, oui aux breloques, oui aux larmoiements télévisés sur le sort de l’Éléphant et du Tigre, mais sus au Loup. Je sais qu’ils trouveront ces propos déplacés, outranciers,voire imbéciles. J’assume sans difficulté. Le plan Loup prévoit de tuer de plus en plus de loups, et de faciliter les indemnisations pour les brebis qu’ils pourraient croquer. Prose, lamentable prose de Le Foll et Batho : « Le loup est et restera une espèce strictement protégée. Il est néanmoins possible de tenir compte de la bonne dynamique de population de l’espèce afin de mettre en place une gestion plus fine ». La gestion plus fine, c’est le flingue.
(NDLB : L'ANEM, Association Nationale des Elus de Montagne parle de "exploiter de façon réaliste les marges établies de reproduction d'une espèce")
Revenons aux élucubrations de Castaner. Le Groupe national Loup (GNL) me fait penser, mutatis mutandis, au Comité permanent amiante (CPA), qui a permis à l’industrie de l’amiante de continuer de fourguer son poison mortel avec l’aval des syndicats ouvriers dûment représentés (ici). Comme le CPA, le GNL regroupe tout le monde, ce qui permet à Castaner de parler d’unanimité : les services d’État, les éleveurs, les politiques, les associations de protection de la nature. Ces dernières sont trois à siéger dans cette structure consultative, qui sert en fait de paravent « démocratique » aux décisions prises ailleurs, pour des raisons essentiellement politiciennes. Trois : le WWF, France Nature Environnement (FNE), et Ferus
En tout cas, 24 loups au tableau de chasse de 2013. J’ai voulu savoir ce que les associations-caution avaient dit au cours de la fatidique réunion du GNL. Car en effet, ou, ou. Ou elles sont d’accord avec l’abattage de 24 loups, ou non. Qui ne dit mot consent ? Aucune, je le constate, n’a osé se démarquer des propos « unanimistes » de Castaner. Cela ne m’étonne guère, soyons franc, de la part du WWF et de FNE. Mais Ferus, que j’ai toujours tenue pour une association combattive (ici) ? Pour en avoir le cœur net, j’ai appelé le président de Ferus, Jean-François Darmstaedter. Son propos ne m’a pas paru d’une clarté cristalline, mais enfin, voici : « Nous ne sommes pas d’accord avec les tirs de prélèvement de loups. Le GNL est consultatif et l’État y annonce ses décisions, sans vote. Nous n’avons pas approuvé. Nous prenons acte de la décision d’abattre 24 loups ».
(NDLB : Lire la réaction de FERUS)
Dieu du ciel, si Ferus en est là, où en sont les autres ? Et jusqu’où iront les tirs contre les loups ? Je précise pour finir un point essentiel. Défendre le Loup est une affaire complexe, et il est certain que sa présence peut être, localement, une grave gêne pour les éleveurs. Je ne me fous pas de ces derniers, et toute solution véritable passe par une prise en compte de leurs problèmes. Ceci posé, tout est question de cadre, de paradigme si vous voulez. L’ancienne manière de penser - le progrès, la domination de la nature, la croissance, l’économie avant tout - conduit tout droit à une deuxième extermination du Loup en France. Car cet animal est un obstacle réel au développement sans fin des activités humaines.
Si l’on modifie radicalement les priorités, si l’on admet cette triste évidence que la vie disparaît à folle vitesse, si l’on reconnaît que l’emprise humaine sur les écosystèmes et le vivant doit être diminuée, alors oui, des solutions seront trouvées. Sur fond de déprise agricole et de disparition - que je regrette - de la civilisation paysanne, des millions d’hectares, en France, sont retournés à la friche, et bien souvent à la forêt. Le Loup a sa place, une grande et belle place chez nous, et ceux qui pensent le contraire sont des adversaires de l’écologie.
Le GNL est un adversaire décidé de l’écologie. Ceux qui y siègent sont ou seront des adversaires de l’écologie. Je viens d’avoir mon ami Pierre Athanaze, président de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), au téléphone. L’Aspas (ici) est une magnifique association, à laquelle il n’est pas interdit d’adhérer. Et Pierre, outragé et furieux, vient de me dire : « Tu sais quoi ? On est en train de gérer le Loup, qui est une espèce protégée, comme un gibier. Comme une espèce chassable ». Et il a raison. Le Loup, si fragile encore, devient une cible, avec la complicité d’associations censées le protéger. Le Loup s’apprête à être tiré comme un lapin.
(NDLB : Lire la réaction de l'ASPAS)
Fabrice Nicolino