On a l'opposition qu'on mérite, et les débats politiques qu'on peut. A défaut d'une droite trop occupée à identifier quel pingouin elle va bien pouvoir (re?)mettre en haut de sa pyramide hiérarchique - à moins que ses élus ne battent le pavé aux côtés des acharnés du papa-maman - le gouvernement socialiste et le parti du même nom se coltinent ces jours-ci, en guise d'adversaire, l'inoxydable Jean-Luc Mélenchon, fédérateur putatif de la gôchedelagôche, cet éternel chantier. La terne "posture du gestionnaire" adoptée par le gouvernement Hollande ouvre il est vrai un boulevard à tous les procès en renoncement, genre dans lequel Mélenchon excelle.
Ainsi donc, l'imprécateur a cru bon, à propos du dernier psychodrame de la zone Euro, de fustiger "les étrangleurs du peuple chypriote", catégorie au sein de laquelle il inclut les gouvernants socialistes français, et en particulier le Ministre des Finances de l'hexagone, Pierre Moscovici. Amalgamez, mélangez tout et n'importe quoi, il en restera bien quelque chose. Car, outre l'usage de la langue grecque, Chypre n'a de commun avec la Grèce, dont le peuple est effectivement étranglé par les mesures de "sauvetage" imposées par les dirigeants européens, qu'une "hellénitude" ramenée à ses expressions les plus caricaturales: une église orthodoxe riche à crever mais intouchable et la haine inextinguible de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un Turc. Pour le reste, avec une économie quai-exclusivement tournée vers l'ingénierie financière que soutient une fiscalité à faire pâlir un Luxembourgeois, l'île du Moyen-Orient a autant à voir avec la "mère patrie" que Saint-Pierre-et-Miquelon avec les Bouches-du-Rhône.Or qu'a finalement exigé, faute de laisser l'île déposer le bilan dans son coin, la fameuse "troïka-étrangleuse-de-peuples"? Rien moins que de ponctionner uniformément tous les dépôts bancaires supérieurs à 100 000 Euros. Et, ce faisant, de ruiner définitivement la réputation de place bancaire off-shore de Chypre tout en tapant dans les magots accumulé par des "épargnants" Russes, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ne sont pas tous d'honnêtes retraités. C'est sans doute involontaire de la part de ces messieurs-dames élevés au biberon Goldman-Sachs, mais le message envoyé implicitement à la face du monde est clair: les paradis fiscaux n'ont pas nécessairement un avenir dans la zone Euro, et la réputation des banquiers - sans parler du douteux argent russe - a somme toute moins d'importance que le portefeuille des contribuables européens.
Bref, si on y regarde à deux fois, il y a quelque chose de nouveau et d'intéressant dans la gestion de cette énième crise de l'Euro. Sans doute rien de bien "révolutionnaire"- l'établissement inopiné d'un impôt à la source, à défaut d'impôt tout court - mais rien non plus qui justifie d'entonner une complainte à la Theodorakis sur les méchants capitalistes qui se rient de la sueur et des larmes des petites gens. Bref, sur ce coup-là, Mélenchon aurait pu mettre sa trompette en sourdine voire - on peut rêver - se réjouir qu'un terme soit mis, fût-ce ponctuellement, à la farandole des capitaux et donc, quelque part, qu'un coup soit porté au sacro-saint libre-échange. Mais non.
Mieux: dans des propos dont on ne sait s'ils sont vraiment "on" ou franchement "off", le leader du Front de Gauche s'est laissé aller à fustiger Pierre Moscovici, qui ne "pense pas français, (...) il pense finance internationale". Il est comme ça, Jean-Luc. Rien ne se mettra entre lui et l'occasion de balancer une invective dont il espère qu'elle fera le tour des médias. Fut-ce pour débiter une ânerie, en l'occurrence. Qu'on songe à la satisfaction de François Hollande revenant des négociations sur le futur budget Européen: il avait "sauvé" la PAC, ce machin bénéficiant principalement aux riches céréaliers de la Beauce, bref défendu bec et ongles les "intérêts français" - à tout le moins ceux de la FNSEA et de ses sponsors de l'industrie agro-chimique. Une "victoire française" qui doit sans doute beaucoup à l'énergie d'un Moscovici. Mais peu importe, l'occasion était trop belle d'opposer, dans un schéma qu'on avait un peu oublié depuis Georges Marchais, les défenseurs du "peuple français" face aux bradeurs social-traîtres de la production nationale.
Mais tout aussi surréaliste a été la réaction d'un Harem Désir, au nom du PS, à cette mise en cause de Pierre Moscovici. Attention, a-t-il proféré en substance, associer le nom du Ministre des Finances, d'origine juive, à la "finance internationale", c'est plonger dans les remugles d'un antisémitisme "qui-nous-rappelle-les-pages-les-plus -sombres-de-notre-Histoire". Ainsi donc Jean-Luc Mélenchon aurait "dérapé", comme on dit. A trop ouvrir sa grande gueule, l'imprécateur aurait laissé son inconscient - héritier lointain d'une certaine extrême-gauche française de la fin du XIXème siècle, dont l'anti-capitalisme s'accommodait fort bien des éructations d'un Drumont contre "la banque juive" - lui suggérer des associations douteuses. Ben voyons.
Il faut croire que le PS - à tout le moins celui censé porter sa voix - a atteint le degré zéro de la pensée politique pour énoncer de telles élucubrations. Il faut croire que la "posture du gestionnaire" commence à devenir intenable et que faute de pouvoir (et vouloir) polémiquer avec le Front de Gauche sur le thème "si si, vous n'avez rien compris, le gouvernement fait vraiment une politique de gauche", on botte en touche et on cherche à dé-légitimer son bruyant leader. Et pour ça, rien de mieux qu'une accusation d'antisémitisme, fût-il "latent". Amalgamez, mélangez tout et n'importe quoi, il en restera bien quelque chose. Accuser Mélenchon d'antisémitisme est à peu près aussi pertinent que de soupçonner Christine Boutin de consommer de la marijuana. Il eût été plus judicieux de souligner qu'à vouloir défendre à tout prix le "peuple chypriote", Mélenchon se fait en l'occurrence le porte-flingue d'un certain nombre de mafieux moscovites, qu'à fustiger les initiatives de la "troïka" à Chypre il se fait de facto le héraut d'une économie de casino, qu'il est inepte d'accuser Moscovici de ne pas défendre les "intérêts nationaux" quand on a vu l'empressement de ce dernier à soigner le lobby agricole. Bref, qu'à trop entretenir sa posture "révolutionnaire" et souverainiste, Mélenchon se prend les pieds dans le tapis et raconte des conneries grosses comme lui.
Encore faudrait-il qu'un Harlem Désir ait la faculté de réfléchir plutôt que d'ajouter du bruit médiatique au bruit médiatique, c'est sans doute beaucoup demander.
On a l'opposition qu'on mérite, et les débats politiques qu'on peut: Harlem Désir a Mélenchon, c'est à dire au fond bien peu, il l'accuse d'être antisémite, car au fond il peut peu.
See you, guys.