Comme je suis un étranger dans notre vie,
je ne parle qu’à toi avec d’étranges mots,
parce que tu seras peut-être ma patrie,
mon printemps, nid de paille et de pluie aux rameaux,
ma ruche d’eau qui tremble à la pointe du jour,
ma naissante Douceur-dans-la-nuit… (Mais c’est l’heure
que les corps heureux s’enfouissent dans leur amour
avec des cris de joie, et une fille pleure
dans la cour froide.Et toi ? Tu n’es pas dans la ville,
tu ne marches pas à la rencontre des nuits,
c’est l’heure où seul avec ces paroles faciles
je me souviens d’une bouche réelle… ) Ô fruits
mûrs, source des chemins dorés, jardins de lierre,
je ne parle qu’à toi, mon absente, ma terre…
Ce beau sonnet sans titre est tiré du recueil L’effraie (1946-1950). Il me semble que c’était son premier recueil de poèmes, Philippe Jaccottet avait alors une petite vingtaine d’années.