Article invité rédigé par Chrystèle BOURELY, juriste et auteure du blog Mon Blog Juridique.
Merci à Cédric de me laisser vous présenter cet article, dont la lecture devrait vous permettre de :
- Savoir comment différencier la simple critique, de l’injure, des atteintes à la vie privée, et des propos diffamatoires, afin d’éviter de risquer, un jour, de devenir l’auteur d’un acte de diffamation,
- Connaître la procédure à suivre, en tant que victime de diffamation,
- Savoir comment se défendre contre une action en diffamation engagée à votre encontre.
Peut-on tout dire sur un blog ?
Internet, un réel progrès pour la liberté d’expression
Internet est un outil de communication libre et accessible à tous, quels que soient votre nationalité et votre lieu de résidence.
Il vous offre l’opportunité d’exercer une « liberté d’expression universelle », dans le cadre d’une « conversation mondiale sans fin », selon l’expression utilisée par la Cour suprême des Etats Unis.
La législation applicable aux acteurs d’Internet
La liberté d’expression, bien qu’elle fasse partie des libertés fondamentales, au même titre que la liberté d’information, ne vous permet PAS de tout dire et de tout publier sur votre blog, sans risquer d’avoir à en répondre devant la justice.
Le web n’est PAS une zone de non-droit.
Pour le Conseil d’Etat, « il n’existe pas et il n’est nul besoin d’un droit spécifique de l’Internet et des réseaux (…) l’ensemble de la législation existante s’applique aux acteurs d’Internet » (Rapport « Internet et les réseaux numériques » du Conseil d’Etat).
La loi LCEN et la loi sur la Liberté de la presse du 29 juillet 1881 étant applicables aux acteurs d’Internet, il est important pour vous, amis Blogueurs, de bien connaître les limites de votre liberté d’expression.
Les risques juridiques encourus
Les publications effectuées sur le web, assimilées aux publications de la presse, par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi LCEN), sont régies par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
De nos jours, les médias (presse écrite, journal télévisé), ne détiennent plus le monopole de l’information.
Sur la toile, chacun peut exprimer son opinion, comme on le ferait entre amis autour d’un café : critiquer le restaurant dans lequel on est allée dîner, recommander ou au contraire déconseiller telle ou telle marque, donner son avis sur une formation en ligne, etc.
Le journaliste professionnel, soumis à un code de déontologie, est tenu de vérifier ses sources avant toute publication de ses écrits. Le Blogueur, quant à lui, rédige et publie des articles sur son Blog, sans avoir pleinement conscience des risques juridiques éventuellement encourus.
La responsabilité civile et/ou pénale du Blogueur
Tout Blogueur engage sa responsabilité civile et/ou pénale, au titre de Directeur de la publication du Blog. Cette responsabilité est la contrepartie de son devoir de contrôle du contenu de la publication.
En cette qualité, le blogueur est la personne responsable du contenu du blog. La loi sur la liberté de la presse de 1881 prévoit, en son article 42, une « responsabilité en cascade » :
- la responsabilité du directeur de publication
- la responsabilité de l’éditeur en ligne
- la responsabilité des codirecteurs de publication.
Le véritable auteur de l’article incriminé peut être poursuivi comme complice (article 43 loi 1881) « lorsque les directeurs ou codirecteurs de la publication ou les éditeurs seront en cause, les auteurs seront poursuivis comme complices ».
Bien souvent, une seule et même personne cumule ces différentes qualités : le blogueur est à la fois l’auteur de l’article contenant les propos litigieux, le directeur de la publication et l’éditeur en ligne (au sens de la loi LCEN).
Les risques juridiques encourus pour le blogueur sont des infractions dites « infractions de presse ». Il s’agit principalement de la diffamation, de l’injure et des atteintes à la vie privée.
Le risque de diffamation
La diffamation est visée par l’article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 et par la loi 21 juin 2004 LCEN :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. »
Les « infractions de presse » ont pour objectif de sanctionner l’atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne.
Par le mot « honneur », il faut entendre le sentiment personnel d’agir conformément aux exigences de la morale.
Dans la « considération » il y a renvoi à l’estime que les tiers accordent à celui dont ils jugent la vie professionnelle.
Pour que l’infraction soit constituée, 5 conditions sont à réunir :
1. Un acte d’allégation ou d’imputation portant sur un fait précis
Il s’agit d’affirmer l’existence d’un fait, soit en rapportant les propos d’autrui (allégation) soit en le reprenant à son compte (imputation). La tenue de propos dubitatifs ou insidieux est assimilée par les juridictions à un reproche condamnable.
2. Ce fait précis doit être attentatoire à l’honneur ou à la considération
3. Le fait imputé ou allégué doit être assez précis pour qu’il puisse être l’objet de vérification
4. Il est émis à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes, qu’elle soit une personne physique ou une personne morale (entreprise)
5. Il s’agit d’une infraction intentionnelle
L’auteur doit avoir eu la volonté et la conscience de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée.
Cet élément moral (intention de diffamer) est présumé dès le moment où l’élément matériel a pu être rapporté.
Comment différencier l’injure de la diffamation ?
Il y a diffamation quand derrière la critique, c’est la personne même qui est visée.
On peut dire, par exemple, qu’une formation au blogging professionnel n’est pas de qualité, mais il y a risque de diffamation à affirmer que le formateur serait un « arnaqueur ».
Comment différencier l’injure de la diffamation ?
L’injure est aussi une atteinte à l’honneur, mais en dehors de toute référence à un fait précis.
L’injure est « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. » (Article 30 de la loi de 1881).
L’injure prononcée en privé est punissable devant le tribunal de Police (contravention), alors que l’injure prononcée en public est punissable devant le tribunal correctionnel (l’auteur de l’injure risque une amende de 12 000 euros maximum).
Est considéré comme un lieu public, un lieu accessible à tous, sans condition et à tout moment.
Une injure laissée au blogueur dans un commentaire est une injure publique (délit), une injure envoyée par email est une injure non publique (contravention).
Voici deux exemples d’injure
Le fait de traiter une personne de « sale pédé ». Dernièrement, j’ai reçu comme commentaire sous l’une de mes vidéos diffusées sur youtube : « t’es k’une conne ! ».
Une vidéo pourtant très sérieuse puisqu’il s’agit de l’interview d’une personne atteinte d’une forme sévère de sclérose en plaques.
Donc, je n’ai pas voulu laisser ce délit impuni : j’ai opté pour un signalement auprès de youtube, après avoir constaté que l’auteur était habitué du fait.
Dans une affaire tirée de la jurisprudence, un blogueur a été condamné pour injure publique, pour avoir publié un article dans lequel il comparait Mathieu KASSOVITZ au ministre de l’information et de la propagande d’Adolf HITLER.
Bon à savoir : si l’auteur de l’injure peut prouver qu’il a été provoqué par la personne qu’il a insultée, il bénéficie alors d’une excuse de provocation. L’injure ne sera pas sanctionnée.
Comment différencier une atteinte à la vie privée de la diffamation
Les atteintes à la vie privée sont visées par l’article 9 du code civil et par les articles 226-1 et 226-7 du code pénal.
Les faits litigieux, poursuivis au titre d’acte de diffamation, ont été requalifiés par le juge en une atteinte à la vie privée.
La cour d’appel de Paris a condamné un blogueur au versement de dommages-intérêts, pour avoir publié un article sur son blog, dans lequel il insinuait que Martine AUBRY serait homosexuelle.
Les moyens de défense pour la victime de la diffamation
Comment la victime peut-elle se défendre contre des propos diffamatoires à son encontre ?
Trois actions lui sont ouvertes :
- Faire une demande de droit de réponse à l’auteur des écrits
- Intenter une action en référé
- Exercer l’action en diffamation
Explications :
1. Demander un droit de réponse aux propos jugés infondés
L’intérêt de ce droit de réponse est de limiter le préjudice de la victime causé par les propos diffamatoires.
Il s’agit d’une particularité du droit de la presse : le lecteur insatisfait d’un article peut demander au journal une rectification ou une réponse.
Une personne mise en cause dans un article publié sur un blog peut solliciter un droit de réponse.
La procédure à suivre est décrite par la loi de 1881, la loi LCEN (article 6 IV), et le décret d’application du 24 octobre 2007 :
- Envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception à l’auteur présumé de la diffamation
- Dans un délai de 3 mois à compter de la mise à disposition des propos incriminés.
- Réponse écrite de 50 à 200 lignes
- Le Directeur de la publication du blog a 3 jours pour publier la réponse sur son blog
Le refus du droit d’insertion est un délit de presse (article 13 alinéa 7 de la loi de 1881) : la victime a 10 jours pour saisir le tribunal correctionnel afin d’obliger le blogueur à publier une réponse.
2. Intenter une action en référé devant le tribunal de grande instance
Il s’agit d’une procédure d’urgence, dont l’objectif est de faire retirer le message litigieux et de faire condamner l’auteur à l’octroi de dommages-intérêts.
La procédure de référé se distingue de l’action au fond (action en diffamation).
3. L’action en diffamation répond à un formalisme important
Le délai de prescription est court : il est de 3 mois, à partir de la date de la 1ère publication des propos litigieux.
La victime doit rapporter la preuve de la date de diffusion des propos litigieux dans ce court laps de temps. Elle a tout intérêt à faire appel à un huissier de justice, qui procédera à un constat d’huissier afin d’éviter la disparition des propos litigieux.
La juridiction compétente est au choix de la victime entre :
- Le tribunal du lieu de résidence du défendeur
- Le tribunal du lieu du fait dommageable
- Le tribunal dans le ressort duquel le dommage a été subi
L’action peut être intentée devant le tribunal de grande instance, compétent en matière de diffamation et d’injure, ou bien devant les juridictions pénales (plainte pénale, plainte avec constitution de partie civile, déposée auprès du Doyen des juges d’instruction ou bien citation directe devant le tribunal correctionnel).
Les moyens de défense pour l’auteur présumé de diffamation
La loi de 1881 a prévu 2 moyens de défense pour l’auteur des faits diffamatoires.
Le blogueur poursuivi pour diffamation peut être relaxé s’il parvient à démontrer la vérité des faits diffamatoires ou bien à plaider sa bonne foi.
Le délai pour agir est très court : il a 10 jours suivant la signification de la citation pour invoquer l’un de ces moyens de défense (article 55 loi de 1881).
L’exception de vérité
L’exception de vérité est un moyen de défense qui répond à une procédure très stricte (l’article 35 de la loi 1881 vise les conditions de fond ; les articles 55 et 56, les conditions de procédure)
L’auteur accusé de diffamation doit apporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires.
La bonne foi
La présomption d’innocence ne s’applique pas ici : toute personne soupçonnée d’avoir commis une diffamation est considérée comme coupable. Autrement dit, c’est au prévenu de démontrer sa bonne foi, de faire la preuve devant le tribunal de son innocence.
La jurisprudence pose 4 conditions pour que la bonne foi puisse être retenue :
- Le prévenu doit avoir visé la poursuite d’un but légitime. L’information diffamatoire doit être objectivement utile à l’information du public,
- Le prévenu doit avoir été sincère, c’est-à-dire qu’il croyait vrai le fait diffamatoire,
- La proportionnalité du but poursuivi et du dommage causé,
- L’auteur des propos doit avoir fait preuve de prudence et d’objectivité.
Si cette preuve est rapportée, les poursuites sont irrecevables.
A l’inverse, si l’auteur est condamné, il risque une amende de 12 000 euros pour une diffamation publique (article 32 loi sur la liberté de la presse), et une amende prévue pour une contravention de la 1ère classe (38 euros au plus), dans le cas d’une diffamation non publique (article R. 621-1 code pénal) :
« La diffamation non publique envers une personne est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe. La vérité des faits diffamatoires peut être établie conformément aux dispositions législatives relatives à la liberté de la presse. »
Conclusion
En guise de conclusion, voici des conseils à suivre avant de publier un article sur son Blog :
- Tenir des propos toujours mesurés
- Citer ses sources
- Présenter des éléments de preuve de ce que vous prétendez être vrai
- Permettre à la personne visée de se défendre, en donnant son avis
- Surveiller avec régularité les commentaires publiés sur votre blog
À retenir ;)
Un petit quiz pour vérifier vos connaissances ;)
Que penser de la phrase ci-après : simple critique, injure, atteinte à la vie privée ou diffamation ?
« … encore une bouze pondue par un vendeur de rêves coutumier du fait (…) je pèse mes mots pour dénoncer les pratiques de la tribu des vendeurs de rêve, dont [blogueur] est un exemple de choix. »
Article invité rédigé par Chrystèle BOURELY, juriste et auteure du blog Mon Blog Juridique.
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