La semaine dernière, j’étais à Bordeaux pour participer à la 14ème édition de l’Académie de la Couleur placée sous la bannière du « bordeaux bleu cerise » et avec pour fil rouge cette année des conférences et échanges autour de la couleur et du design urbain. Présidé et animé par Marie-Pierre Servantie, chromo-architecte investit dans la cité, ce rendez-vous apprécié des amateurs et des professionnels a suggéré l’importance de la couleur dans la ville. Même quand celle-ci est « effacée » dans Bordeaux, métamorphosée sous le mandat d’Alain Juppé et qui offre sa splendeur dans toute la minéralité qui la caractérise, une minéralité dont la palette uniforme peu confinée à l’ennui de l’œil. Et c’est tout le débat dans des villes historiques dont la richesse patrimoniale consiste à figer le passé au nom de l’histoire, à tenter de gommer les traces de la modernité pour ne pas polluer l’harmonie soit disant originelle.
Reste qu’une ville quelle qu’elle soit doit organiser la vie et les flux de ses habitants, doit gérer l’incivilité qui caractérise notre époque : l’indiscipline des automobilistes par exemple qui se garent souvent n’importe où a incité les édiles à faire bourgeonner des potelets sur les trottoirs, des érections en fonte ou en métal très laides couvertes d’une peinture inepte et faussement passe-muraille : un noir de deuil ou un marron fiente foncée. Il en est de même avec le foisonnement de panneaux directionnels en tous genres, de supports publicitaires, de sanisettes, d’arrêts de bus, de barrières, de poubelles diverses qui encombrent désormais les trottoirs et enrayent les perspectives visuelles, gênent la promenade : partout et en permanence l’œil, la marche sont heurtés par des objets meublants qui jouent rarement la carte de la légèreté et de la discrétion. Des objets meublants qui font la fortune d’entreprises comme JC Decaux ou d’opportunistes professionnels comme Jean-Michel Wilmotte qui s’est déclaré « architecte d’intérieur des villes » (sic !) et refourgue ses lampadaires et autres bancs publics à toutes les municipalités qui cherchent bêtement à se trouver une légitimité esthétique avec un « designer » médiatisé grassement payé par les contribuables…
Paris dans ce domaine est une caricature, tant le mobilier urbain bourgeonne et enlaidit la rue par ses formes massives, sa floraison d’objets meublants (et on ne parle pas de la boulimie de travaux à longueur de voies et d’années qui gagne l’édile socialiste) dans une gamme de couleurs réduite à rien : un maronnasse « capitale » suicidaire et un vert « poubelle et palissade de Paris » immonde.
Evidemment, la question n’est pas tant de choisir d’autres tonalités plus gaies, il ne s’agit pas de ripoliner ce mobilier urbain en jaune canarie ou en rose Barbie pour que la ville gagne en couleur et en beauté joyeuse, il s’agit de s’interroger sur la pertinence et l’utilité de ce mobilier urbain qui impose davantage de contrainte que de confort. Lors de l’Académie de la Couleur Bordeaux, Michel Herreria, plasticien et Fabien Pédelaborde, architecte, nous ont interpelé jusqu’à l’absurde avec cette question : sommes-nous devenus aussi désincarnés pour accepter cette envahissement du laid sur nos trottoirs, pour accepter ce balisement des voies qui entrave le goût de la déambulation, au point tel qu’à Paris par exemple, on n’avance plus, on ne circule plus, on piétine…
Image : Les rues parisiennes sont défigurées par une débauche d’objets meublants…