NIGHTMARE POP – Trio originaire de Brighton (UK), Esben and the Witch tire son nom d’un conte danois. Après un premier album très abouti et un passage remarqué sur Arte dans le cadre de l’émergence de ce nouveau style, le combo revient avec un nouvel opus toujours chez Matador. Emprunt de sonorités gothiques mêlées à du rock indépendant voire du post-rock, leur premier opus avait séduit. Cependant, si le trio a su tirer parti d’un mélange hétérodoxe et peu en vogue à l’époque, comment envisage-t-il son évolution ? Réussit-il à éviter le piège de la redite ou reste-t-il prisonnier d’un genre à identité forte mais cloisonnante qu’il a lui-même inventé ?
Ce que l’on peut dire de prime abord, c’est que cet album se veut à la fois liquide et aérien, mélancolique et triste, mais serein. La guitare, évanescente, est soutenue par un « delay » et une « reverb » qui font de chacune de ses notes une explosion douce, un miroitement, ou un effluve délicat. Jouant tant sur les arpèges que le note à note ou encore le tremolo post-rock, le guitariste nous emmène dans un univers hypnotique et envoutant, maussade et chaud. La voix douce, limpide et cristalline renforce la matérialité brumeuse de chaque titre à quoi s’ajoute une batterie soit binaire soit galopante, marquée ou fragile.
De manière générale on peut dire que le trio aime jouer sur les contrastes et les oppositions. Tantôt la guitare se fait étincelante alors que la rythmique se veut plus lourde. Tantôt les passages remplis et très mélodiques s’entrecroisent avec des espaces plus aérés. Le tempo d’un instrument se fera plus rapide alors qu’un autre jouera plus lentement et simultanément. L’une des grandes prouesses du groupe tient ainsi à créer un univers à la fois sombre et triste mais chaleureux. Les morceaux, extrêmement structurés, se veulent donc paradoxalement très légers et travaillés ce qui confère à l’auditeur une impression « d’immatérialité tangible ».
Ruissellement et miroitement perpétuels, les nouveau titres du combo nous plongent et nous envolent au milieu de nous même ou de l’infini espace – ce qui revient au même – au moyen de montées puissantes mais douces ainsi que d’une constante mise en écho de sons riches et variés. Esben and the Witch nous exhorte en somme à cerner l’obscurité et la tristesse qui peuvent nous habiter en raison de nos fautes mais surtout, à nous en défaire. Véritable cavalcade ponctuée d’essoufflements, de doutes, d’hésitations, cette introspection quasi mystique se conclut par une invitation à se lancer dans l’existence qui ne se veut ni noire ou blanche mais seulement un frôlement d’âmes.
C’est ainsi qu’après nous avoir hypnotisé, ramené au cœur de l’univers et de nous même, Esben and the Witch nous démontre le côté fragile mais intense de toute existence. Romantique mais pas décadent, lucide mais néanmoins serein, le trio de Brighton nous plonge dans un monde à la fois gothique et moderne, onirique et sombre (presque religieux) où le cosmos et le ciel se mélangent au liquide et au vaporeux de la terre. Cela pour créer une peinture musicale à la façon d’un Friedrich ou d’un Turner qui seraient nés au XXIe siècle dans une société postmoderne. On peut dans cette perspective affirmer sans hésitation que le combo réussit brillamment sa mutation, à faire évoluer son style. Cet opus, magistral et très abouti, mérite donc vraiment d’être possédé. Une très belle réussite.