Un lieu commun voudrait que les étrangers volent le travail des français. Une théorie sans fondement économique, comme le rappelle cet article d'archive de 2011, toujours d'actualité.
Un article de Geoffroy Lgh.
Fallacieux d’abord, car il surestime la substituabilité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs natifs. En vérité, les natifs et les immigrés n’ont souvent pas les mêmes compétences. Les premiers peuvent se spécialiser dans des tâches qui requièrent la maitrise de la langue et une connaissance de la culture du pays ; les seconds dans des tâches plus manuelles qui exigent moins ces qualifications. Natifs et immigrés occupent souvent des rôles complémentaires au sein de la division du travail. Par conséquent, une augmentation de la main-d’œuvre immigrée peut augmenter la productivité (et donc le salaire) des natifs. Selon les économistes D’Amuri et Peri, l’immigration pourrait augmenter le salaire moyen de Europe de 0,6% sur la période 2008-2020 (une fois prises en compte les projections démographiques européennes) [1].
Fallacieux ensuite, car il néglige le processus permanent de destruction créatrice à l’œuvre sur le marché du travail. Chaque jour en France, environs 10 000 emplois sont créés, et à peu près autant sont détruits [2]. Un marché du travail flexible est capable de s’adapter aux changements de son environnement, notamment à un accroissement de la population active. Comme le dit l’économiste Alex Tabarrok, « le nombre d’emplois croît à mesure que le nombre de travailleurs augmente » [3]. Si ce n’était pas le cas, nous devrions observer une croissance du chômage proportionnelle à la croissance de la population active. Or, depuis 1985, la population active est passée de 25 millions à 28 millions d’individus, alors que le chômage est resté stable autour de 10%.
Fallacieux enfin, car il n’est tout simplement pas soutenu par les faits. Le XXe siècle a connu nombre de déplacements de population, et a ainsi fourni de la matière quantitative pour observer l’impact d’une augmentation soudaine de la population active sur le marché du travail de la zone d’accueil. Par exemple, en 1980, 125 000 Cubains fuyant la dictature castriste quittent le port de Mariel pour les États-Unis. La moitié d’entre eux s’installe en Floride, augmentant en quelques jours de 7% la population active de cet État. Selon l’économiste David Card qui a étudié cet événement, l'exode de Mariel n’a eu « quasiment aucun effet sur les salaires ou le taux de chômage des moins qualifiés » [4]. Jennifer Hunt observe un résultat similaire pour le marché du travail français après le rapatriement de 900 000 pieds-noirs en 1962, au moment de l’indépendance de l’Algérie [5].
Naturellement, ces arguments ne fournissent pas une défense systématique d’une politique d’ouverture des frontières. Pour cela, d’autres considérations doivent intervenir (fiscales, culturelles, éthiques [6]…). Néanmoins, ces arguments montrent qu’il est économiquement infondé de craindre que l’immigration réduirait le « stock » d’emploi disponible pour les travailleurs natifs.
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Notes :
- F. D'Amuri et G. Peri, "Immigration and productive tasks: Can immigrant workers benefit native workers?", voxeu.org, October 2010. ↩
- P. Cahuc et A. Zylberberg, Le Chômage, fatalité ou nécessité ?, Flammarion, 2005. ↩
- A. Tabarrok, "Economic and Moral Factors in Favor of Open Immigration", Presentation before the Santa Clara Student Debate Conference, the Independent Institute, September 14, 2000. ↩
- D. Card, "The impact of the Mariel boatlift on the Miami labor market", Industrial and Labor Relations Review, Vol. 43, N°2, janv. 1990. ↩
- J. Hunt, "The impact of the 1962 repatriates from Algeria on the French labor market", Industrial and Labor Relations Review, Vol. 45, N°3, avril 1992. ↩
- Pour une défense éthique d’un point de vue libéral d’une politique d’ouverture des frontières, cf. Mike Huemer, « Is there a right to immigrate ? », http://home.sprynet.com/~owl1/Immigration.pdf. ↩