Libre marché n'est pas synonyme de moralité!

Publié le 24 mars 2013 par Gregorykudish
Le 23 mars dernier, j’ai saisi l’occasion d’assister à un séminaire organisé par l’Institut Fraser, à l’hôtel Sheraton à Montréal. L’Institut Fraser est un think tank de politiques publiques canadien travaillant à l’élaboration de solutions de marché. En tant qu’individu ayant un regard plutôt conservateur sur les politiques publiques, je ne cache pas ma sympathie envers ces «instituts» de recherche, qui proposent des solutions alternatives au modèle politico-économique en place. Cependant, je trouve que l’Institut Fraser va beaucoup trop loin dans son apologie du libre marché.
Au cours du séminaire, j’ai eu l’occasion d’écouter l’intervention de Jonathan Fortier, titulaire d’un doctorat en philosophie de l’Université d’Oxford. Pendant son exposé, M. Fortier s’est attelé à détruire cinq «mythes» sur le capitalisme. En gros, contrairement aux idées reçues, le capitalisme n’entraîne aucune exploitation, ni d’inégalités démesurées, ni de cupidité, ni d’atomisation sociale, ni d’injustice. Dans une certaine mesure, je suis d’accord avec M. Fortier pour dire que le capitalisme est un système moralement supérieur à d’autres. En laissant les individus libres de s’associer, d’acheter et de vendre, et de jouir des fruits de leur labeur, le capitalisme encourage en grande partie l’innovation, le progrès et la prospérité. Alors, comment se fait-il que tant de «carrés rouges» dénoncent le système en place?
Pour Jonathan Fortier, la dénonciation du capitalisme que l’on entend ad nauseam dans la rue est en réalité la dénonciation du copinage qu’entretiennent nos gouvernements avec les grandes corporations. Les plans de sauvetage de GM, les subventions gouvernementales aux grandes entreprises, les monopoles… Tel est le système que les «carrés rouges» dénoncent. Le capitalisme pur, quant à lui, est un système fondamentalement bon, juste et moral. «For an activity to be moral, it has to be freely chosen. It has to be voluntary». Par conséquent, le capitalisme, en tant que promoteur de la libre association, du libre-échange et de la liberté en général, est un système moralement bon en soi. Les injustices sociales ne sont donc pas le produit du vrai capitalisme, mais elles sont plutôt le résultat du copinage qu'entretiennent nos gouvernements avec certains agents économiques. C’est donc l’intervention de l’État qui est à l’origine de nos problèmes de société. Pour y remédier, il faut éliminer l’intervention de l’État dans le libre marché.  Malheureusement, il s’agit-là d’une déduction mensongère qui ne prend pas en compte la distinction fondamentale entre l’économie et le marché. Le marché désigne une convention ayant trait à l’échange de biens et services. L’économie, quant à elle, fait référence à l’ensemble des activités relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses dans une collectivité. Le libre marché dérèglementé est une forme particulière de capitalisme, qui est lui aussi une forme particulière de gestion économique de la société.
«The effect of liberty to individuals is that they may do what they please: we ought to see what it will please them to do, before we risk congradulations» (Edmund Burke)
Pour M. Fortier, le libre choix et le libre marché sont synonymes de moralité. Pour appuyer son argumentaire, il se réfère au cas des enfants exploités en Chine. Est-ce immoral pour une compagnie américaine de s'installer en Chine et de faire travailler des enfants à un salaire de misère? Non. Pourquoi? Parce que sans la présence de ces entreprises, ces enfants chinois sont quand même victimes de prostitution et d'exploitation. Faudrait-il rappeler que la prostitution juvénile est limitée aux États-Unis et dans les autres pays développés grâce aux États qui, en votant des lois, limitent ce genre d'abus, contrairement à la Chine? Et que ce n'est pas le libre marché, en soi, qui enraye la prostitution juvénile? La relation mensongère entre libre marché et moralité peut mener à des abus dangereux. Dois-je vous rappeler, M. Fortier, que la pornographie juvénile constitue un marché noir extrêmement rentable? Tout comme la bestialité, la porno zoophile, et le trafic d'organes humains? Si l'on suit votre logique, toutes ces activités sont moralement bonnes, car elles sont le produit du libre marché.
«Liberty must be limited in order to be possessed» (Edmund Burke)
Si le libre marché pouvait à lui seul se porter garant de la moralité et du bien-être collectif, je me demande bien alors pourquoi nous continuons à tenir des élections et à avoir un gouvernement. Après tout, ne serait-il pas plus simple d'abolir l'État, puisque le libre marché est garant de la moralité et de la liberté? Justement, non. Car l'État a, malgré tous ses défauts, un rôle à jouer dans l'économie. Dans une société, certaines richesses ne peuvent pas être prises en compte dans le libre marché, car elles ne sont pas rentables pour les agents économiques. Je parle ici de richesses telles que la dignitié humaine. Accorder à chaque citoyen le droit de pouvoir manger à sa faim est une mauvaise idée si l'on se campe dans le paradigme du libre marché. Pourquoi? Car il est irrationnel de donner inconditionnellement un bien à un groupe d'individus sans savoir si l'on recevra quelque chose en retour. Malheureusement, l'Institut Fraser ne parle pas de ces réalités. Ce think tank présuppose que les agents économiques sont rationnels et savent faire les bons choix. Or, la rationalité humaine est limitée. C'est pourquoi nos sociétés développées, à travers leurs élus, demandent également à l'État d'être le garant de certains droits. Des droits qui, dans un libre marché seul, ne peuvent être garantis. Le libre marché n'est pas synonyme de moralité. Il en est certainement une composante, mais non pas le synonyme. Libre marché et État doivent aller de paire pour assurer une bonne cohésion sociale.