Depuis que l'Etat a donné aux conseils généraux le droit de taxer à leur gré le tabac, merci Jean-Paul Virapoullé, le paquet de clopes à la Réunion, a vu son prix, le moins cher de France il y a une dizaine d'années, être multiplié par trois (à vue de nez). Une bonne raison pour les fonctionnaires de défendre leur sur-rémunération. Qui se souvient du paquet de Marl(censuré) ou de Cam(censuré) à 5 francs et cinquante centimes ? Aujourd'hui, un paquet de tabac revient à entre 6 et 8 euros.
Soit une multiplication par six ou sept en 12 ans. Et le paquet de tabac ne fait pas partie de la liste Lurel...
Le tabac tue, on le sait. Il fait belle lurette qu'on ne donne plus aux militaires leur paquet de Troupes (et il y a bien longtemps que le service militaire a été aboli, il est vrai). Doit-on pour autant oublier que fumer est un des rares plaisirs des chômeurs ? Et que c'est bien de s'occuper de leur santé, mais mieux de s'intéresser à leur bien-être...
Toujours est-il que le tabac est devenu un objet de convoitise. Combien de faits-divers commencent par ce prétexte : "il n'a pas voulu me donner une clope, alors je lui ai éclaté la gueule ?".
L'autre soir, sur le port de Saint-Pierre, on a vu débarquer deux zoreils au look touriste (ou l'inverse), munis d'un grand sac plastique. Ils nous branchent gentiment : "bonsoir, messieurs dames, vous ne voulez pas des Camel ? On en a une dizaine de cartouches, c'est cinq euros le paquet". Succès immédiat autour de la table (sauf auprès de l'auteur de ces lignes, qui ne fume que du tabac anglais, question de standing). Renseignements pris, les cartouches venaient de Thaïlande, comme l'attestent les "Fumer tue" et autres "Nuit gravement à la santé" écrit en อักษรไทย, pardon, langue thaï. Ca fait quand même une économie de près de deux euros par paquet, et pour le vendeur un bénéf de...
Pourquoi parler de ce qu'on pourrait qualifier de petit trafic innocent ? Parce qu'il est symptomatique de la paupérisation de la population réunionnaise. Obligés de subvenir à l'essentiel, le superflu est pour nous devenu un luxe. Fumer, boire un verre, aller au restaurant, au cinéma, est un superflu, un superflu primordial pour se sentir humain.
Il y a une trentaine d'années, les marins descendus des bateaux au Port ramenaient aussi leurs étuis de cigarettes récupérés à bas prix lors de leurs escales. Et les trafics se faisaient presque au grand jour.
Mais à l'époque, on pouvait construire sans permis, et même conduire sans permis. On pouvait même se faire élire sans électeurs. Mais ça n'a rien à voir...
François GILLET