Au Studio de la Comédie Française, Christian Benedetti monte pour la troisième fois "Existence" d'Edward Bond, auteur anglais avec lequel il collabore depuis près de 20 ans et dont il créa un grand nombre de pièces dans son théâtre d'Alfortville. Une oeuvre aux entrées multiples, sombre (au propre comme au figuré) violente, oppressante, troublante, dont nul ne sort indemne, incitant acteurs et spectateurs à réfléchir, agir, réagir, choisir, comme êtres et citoyens actifs d'un monde souvent inhumain dont ils sont responsables.
L'histoire, pourrait tenir du simple fait divers. Un individu s'introduit par effraction dans un appartement, espérant mettre la main sur de l'argent. Dans une obscurité quasi absolue, il se retrouve face à l'occupant des lieux qui ne dit mot, semble ne pas vouloir lui donner ce qu'il cherche. Il le menace, le tabasse presque à mort, l'attache à une chaise, saccage l'endroit. Toujours pas un mot. Il n'obtient rien. Ne trouve rien. Car il semblerait qu'il n'y ait rien. Mais ce silence et l'absence de butin deviennent insupportables pour le cambrioleur, le destabilisent, le poussent à s'interroger sur l'objet de sa quête, sur la sauvagerie dont il vient de faire preuve, la société dans laquelle il évolue, sur ce qui nourrit le sens de son "existence" et en fait l'essence. Les conséquences qu'il tirera de ce raisonnement seront radicales...
Plongé dans le noir durant les trois quarts du spectacle (l'espace scénique n'est en effet éclairé que par le biais d'un mince filet de lumière provenant d'une fenêtre au rideau tiré), le public garde tous ses sens en eveil, devinant l'action plus qu'il ne la voit réellement. La violence de celle-ci est décuplée par son imagination fertile, et l'attention portée au texte, un presque monologue constitué de bribes de phrases jamais achevées, se révèle totale.
Benjamin Jungers (X, le cambrioleur) et Gilles David (Tom, le séquestré) produisent un travail exceptionnel. Le premier en s'emparant d'un texte à la structure des plus complexes, parvenant à nous le faire entendre au mieux. Le second en ne faisant exister son personnage qu'à travers ses gémissements et sa respiration. Splendide face à face de deux comédiens qui, paradoxalement, ne se voient pour ainsi dire pas de la représentation.
A la fois prenant et déroutant, un spectacle d'une étonnante densité.
A voir.
Photo : Cosimo Mirco Magliocca