Le modèle allemand… Tout un poème. En Espagne, le gouvernement Rajoy vient de s’en inspirer pour relancer l’emploi des jeunes. Chômeur ou esclave, voilà la seule alternative possible. Bel avenir, merci pour eux.
Article de Michel Santi paru le dans Marianne du 23 mars 2013:
Doit-on s’inspirer du modèle allemand? Oui, bien sûr!, si l’on en croit les statistiques du chômage, qui atteint 25% en Espagne, près de 11% en France, et même 7,7% aux Etats-Unis… comparé au taux de sans emploi de 6,5% en Allemagne? Qu’attend donc le reste de l’Union européenne pour marcher dans les pas d’une Allemagne qui n’a cesse de s’ériger en modèle absolu en termes de compétitivité de ses entreprise et de flexibilité de son monde de travail.
En réalité, la forte décrue du chômage en Allemagne est entièrement redevable à une dégradation intensive ayant favorisé la création d’emplois temporaires ou à salaires très réduits. La flexibilité allemande n’a donc pu se réaliser qu’au prix de ces « mini-jobs » qui ont ainsi augmenté de 14% entre 2005 et 2011 et qui concernent quelque 4,5 millions de salariés, dont les revenus se situent entre la moitié et les deux tiers de ceux du salarié moyen.
Le développement de ce travail à la précarité sans précédent devait représenter une aubaine pour des entreprises qui, dès lors, furent promptes à accélérer leurs embauches. L’essor de cette catégorie d’emplois fut trois fois plus importante que celui qui concernait les emplois « traditionnels » durant cette période considérée. De fait, les toutes récentes statistiques émanant de l’OCDE indiquent que les emplois à bas voire à très bas salaires représentent environ 20% de la masse salariale allemande, par rapport à 13% en Grèce et à 8% en Italie… Il va de soi que, dans un contexte de salaires qui atteignent un maximum de 400 euros par moi, les employeurs n’ont plus aucune motivation à embaucher sur la base de contrats de travail à durée indéterminée. Ce qui explique qu’un salarié allemand sur cinq perçoit aujourd’hui 400 euros par mois et que les contrats à durée indéterminée sont progressivement scindés en un ou plusieurs « mini-jobs ». Le tout, dans un cadre allemand où le salaire minimum est banni des dictionnaires comme des lois.
La création de toutes pièces de cette sous-classe de travailleurs est le résultat d’une entreprise planifiée dès le début des années 2000 par le chancelier de l’époque, Gerhard Schröder. Si la fédération patronale allemande se positionne contre l’instauration du salaire minimum, accusé de créer le chômage en augmentant le coût du travail, c’est qu’elle est totalement soutenue par un cadre légal et par l’écrasante majorité des pouvoirs politiques peu enclins à s’apitoyer sur ces salariés et sur ces travailleurs sous-payés. Ces derniers n’ont nullement bénéficié du redressement spectaculaire de leur pays à la suite de sa réunification. Bien au contraire, ils ont subi une décapitation de leurs revenus ces dix dernières années. Le miracle allemand n’est en effet, qu’un mirage voire un cauchemar pour une partie importante des travailleurs allemands, en occurrence pour près de cinq millions d’entre eux! N’oublions pas les déclarations tonitruantes de Schröder à la tribune de World Economic Forum en 2005 qui annonçait fièrement d’avoir « créé un des meilleurs secteurs d’Europe en termes de bas salaires ».
Cette masse de mini-jobs exerce des effets pernicieux sur l’ensemble des pays d’Europe périphérique. Ces misérables salaires octroyés dopent, bien sûr, les exportations du pays tout en restreignant considérablement sa capacité à consommer et donc à importer. L’incontestable compétitivité allemande – qui se réalise au détriment d’une immense masse salariale – est donc aussi une authentique plaie pour les nations en pleine crise. De manière bien compréhensible, celles-ci se montrent incapables d’exporter vers l’Allemagne et vers les Allemands qui n’ont pas les moyens de se payer des produits espagnols, italiens et portugais.
Ainsi, la politique allemande représente une des failles structurelles majeures de l’Union européenne, car elle y impose et y instaure une déflation généralisée. La seule et unique formule permettant aux entreprises européennes périphériques de gagner en compétitivité consiste logiquement en des réductions généralisées des salaires de leurs travailleurs afin de tenter de concurrencer les marchandises allemandes à l’exportation et de vendre aux consommateurs de ce pays. Comment les politiques et les chefs d’entreprise allemands ont-ils aujourd’hui le cran d’ironiser sur les économies européennes périphériques voire les stigmatiser quand la quasi-intégralité de la croissance allemande reste redevable à l’appétit de consommation et à l’endettement de ces nations?
Il est donc urgent d’augmenter aujourd’hui les salaires de ces mini-jobs allemands afin de faciliter et de promouvoir un transfert équitable des richesses et des revenus à l’intérieur même de l’Union européenne. Car les déséquilibres touchant un pays de l’importance de l’Allemagne exercent à l’évidence un impact nuisible sur toute la zone. N’est-il pas temps d’avoir un regard très critique vers cette dynamique de compétitivité allemande, tant admirée, mais qui s’apparente plus à une machine à créer de l’injustice et des déséquilibres?
Source: Marianne n°831 du 23 mars 2013
Aller plus loin:
- Dix ans après l’introduction de la réforme allemande Hartz IV: Une étude de l’OCDE, publiée à la fin de l’année dernière, a conclu que l’inégalité des revenus s’est accrue plus rapidement en Allemagne que dans n’importe quel autre pays membre. Selon une étude réalisée par l’Association à l’aide sociale paritaire (Paritätischer Wohlfahrtsverband), les trois-quarts des personnes concernées restent à jamais tributaires de Hartz IV. A peine 29 millions d’Allemands sur près de 42 millions de travailleurs ont un emploi qui est soumis au régime de sécurité sociale. Quelque 5,5 millions d’hommes et de femmes travaillent à temps partiel et 4,1 millions gagnent moins de 7 euros de l’heure. 4,5 millions de personnes dépendent de de Hartz IV, dont 1,4 million doivent travailler sans pouvoir gagner suffisamment pour subvenir à leurs besoins. En 2010, 924.000 millionnaires vivaient en Allemagne à côté de 4,5 millions de bénéficiaires de Hartz IV. Depuis, le nombre de millionnaires devrait avoir dépassé le million.
- La fabrique de pauvres – La face cachée du modèle allemand, Vidéo Arte
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