Inès de Tolentino
Todo Tiembla alrededor 2
2013
Dans l’oeuvre d’Inés Tolentino on perçoit un cumul d’histoires intimes dont l’expression tend encore et encore à assumer la créativité comme une force d’équilibre entre l’optimisme et les imperfections du vécu. Ce processus commence au début des années quatre-vingt-dix, quand j’inclus plusieurs de ses oeuvres dans l’exposition “Signes et Symboles de la République Dominicaine,” comme conservateur du Musée des Amériques, institution sous l’égide de l’Organisation des Etats Américains, à Washington. Cette exposition reunit alors un groupe choisi de la nouvelle génération d’artistes dominicains, équivalent en Amérique Latine de la post-modernité dans l’art, avec des noms como ceux de Jésus Desangles, Raoul Recio, y Radhamès Mejía.
Inès de Tolentino
Mon coeur est cousu main
2008
A cette occasion, Inés presenta des dessins où le visage d’enfants qui semblaient provenir de photos anciennes, se mêlait à des élements très gestuels, signaux d’un emportement qui suggérait une profonde insatisfaction générationnelle et en même temps un contenu narratif fort qui s’est constamment maintenu dans son oeuvre, bien que les éléments techniques et formels se soient modifiés, transformés y enrichis au fil des années.
Depuis lors, l’artiste, dans chaque oeuvre, nous présente une sorte d’épigramme en forme de chronique codifiée. La narration qui en résulte, associant les éléments conceptuels, formels et techniques qui configurent l’oeuvre actuelle, se projette vers le spectateur à la façon d’un monologue, parfois sur la République Dominicaine, où elle est née, d’autres fois sur la France où elle a étudié et a longtemps vécu, et en une troisième instance sur elle-même et le monde en général. C’est pourquoi, au premier coup d’oeil, Inés paraît être obsédée par des aspects autobiographiques, ou au moins des questions très íntimes qui dérivent de sa perception de la réalité tamisée par le vécu. “Je ne parle pas de moi mais c’est moi qui parle”.
Inès de Tolentino
Mon amour, ma blessure
2009
Ceci se remit en évidence dans les oeuvres, realisées en France, qu’Inés envoya pour une autre exposition de groupe à Washington, organisée cette fois au Centre Culturel de la Banque Interaméricaine de Développement, et intitulée “Dedans et dehors: Tendances récentes dans l’art dominicain”, d’août à novembre 2008.
Le récit sous forme d’un interminable monologue visuel se convertit en dialogue transatlantique. On parle depuis un endroit pour que les paroles s’écoutent (et les symboles s’observent) dans l’autre, et au milieu l’immensité d’un océan. L’intérêt de l’artiste pour l’ethno-antropologie dénote un désir de se comprendre soi-même et de comprendre les autres en un processus introspectif, rempli d’interrogations, qui donne l’impression de ne pas être résolu de façon satisfaisante, exigeant alors de reprendre des recherches sur les antécédents qui lui ont donné corps. Dans la dynamique de la créativité en général, et en particulier dans l’oeuvre d’Inés Tolentino, il semblerait qu’il est important d’essayer de définir avec clarté les questions, plus encore que les réponses. La quête d’utopies se justifie en saisissant les inquiétudes qui nous font persévérer et pas nécessairement y trouver la réponse.
Inès de Tolentino
Exilés
2008
Personnellement, je trouve dans l’oeuvre d’Inés Tolentino des éléments cathartiques qui coïncident avec les coordonnées de deux mondes opposés qui gravitent face à face, et que l’artiste a dû confronter pour des raisons inhérentes aux circonstances de sa vie, devenant peu à peu un un univers ambivalent. C’est là où je perçois l’anxiété de définir des aspects existentiels et une façon de se relationner à une réalité imparfaite, y cherchant des explications qui doivent répondre, par exemple, à l’énigme d’être née dans le tiers-monde et d’observer des problèmes comme l’inégalité sociale, l’insécurité, la limitation des chances et la pauvreté, etc., tout en y juxtaposant l’appartenance à un autre lieu du “premier monde” avec lequel iI y a des identifications très fortes et naturelles.
Pour autant, quand on lui pose la question, l’artiste confirme que dans son oeuvre “apparaissent les références de mon éducatión, la bonne et la mauvaise; de mes souvenirs d’enfance, de peurs, de mes orígines, de mes cultures y de l’acquis comme adulte. Je parle du monde qui m’entoure, du monde comme il va, de mondes oubliés et d’autres à inventer, d’êtres qui les habitent. Je propose des archives personnelles d’images qui nous concernent tous.”
Je ne suis pas si sûr que certaines choses nous concernent tous. S’il en était ainsi, prédire le futur ne serait pas aussi illusoire. L’ambigüité d’appartenir à deux dimensions, de parallèles et coordonnées différentes, a toujours été présente dans l’oeuvre et dans la personnalité d’Inés Tolentino dès son plus jeune âge: deux langues, deux familles, deux codes de comportement et des éthiques sociales différentes. C’est pourquoi il est aisé de comprendre sa façon de les regarder à distance, à la fois critique et contemplative. Signes, symboles, icônes, éléments de deux mondes s’opposent et s’associent comme une sorte de casse-tête, en créant un chaos à domestiquer pour atteindre un certain contrôle sur l’expérience, sur le passé et le présent, sur soi-même et autrui.
De façon curieuse, Inés Tolentino dédaigne intentionnellement d’établir avec son oeuvre une référence à l’art contemporain au contraire d‘autres artistes –non seulement dominicains mais encore français-, qui cherchent désesperément à s’aligner sur le moment artistique, vu l’anxiété induite par la globalisation économique et technologique, entre autres facteurs, qui affecte la société dans laquelle nous nous trouvons. Le fil et la broderie pourraient s’interpréter comme un effort de mise à jour, mais ces mêmes moyens traditionnels assument plutôt le rôle de nourrir l’oeuvre, tant sa forme que son contenu, en une sorte de contre-position envers le moment et ses conventions. “La contemporanéité dans mon oeuvre”, dit Inés, “se revèle par le contraste entre le medium, le fond et la forme. “
Inés Tolentino se considère une romantique. Il se peut que cela soit certain, étant donné la récupération et l’appropriation de divers éléments convertis en symboles personnels, quand ils sont utilisés dans l’oeuvre pour évoquer des situations, des évènements qui ont pu ou peuvent arriver faisant partie d’une histoire personnelle, réelle ou imaginaire. Quelques uns de ces éléments, comme on l’a vu, introduisent des souvenirs qui se résistent à disparaître. Pendant que les avant-garde passent, Inés s’en nourrit. S’accomplit alors la vision de la vie et de l’art que nous avons antérieurement signalée, à la fois distanciée et critique, tant que l’on veut partager et concilier ces deux attitudes.
Félix Ángel
Directeur et Commissaire du Centre Culturel de la Banque Interaméricaine de Développement. Architecte et artiste plasticien réputé. Ecrit sur l’art et la culture. De nationalité colombienne, il vit et travaille à Washington depuis de longues années mais conserve ses attaches avec son pays natal.