Tout commence en 1983, quand deux chercheurs, Jack Schultz et Ian Baldwin, publient dans la prestigieuse revue « Science », un article montrant qu'un peuplier et un érable émettaient des signaux chimiques qui sont captés par des arbres sains voisins (Voir Science).
En 1988, des chercheurs néerlandais des universités de Wageningen et Amsterdam montrèrent que, lorsqu’ils sont attaqués par l'acarien Tetranychus urticae, les plants de haricots et de concombres émettent des molécules volatiles qui attirent l'acarien prédateur Phytoseiulus persimilis, qui va venir détruire les Tetranychus.
En 1990, une autre équipe de recherche, regroupant des chercheurs des universités de Gainesville, en Floride, et Tifton, en Géorgie, fit une nouvelle découverte : lorsque les des plants de maïs sont attaqués par des chenilles du papillon podoptera exigua, ils ont la bonne idée de produire des composés volatiles qui attirent les guêpes parasites Cotesia marginiventris. Or, ces insectes ont comme habitude de pondre leurs œufs dans les chenilles de Spodoptera, ce qui entraîne naturellement la destruction de ces dernières.
En 1995, une autre étude montra cette fois qu’en réaction à une attaque par de jeunes chenilles de Pseudaletia separata, les plants de tabac vont produire un composé chimique distinct de celui qu’ils produisent quand ils sont agressés par des chenilles plus âgées. Grâce à ce signal spécifique, la guêpe Cotesia kariyai ne s'attaque qu'à ces jeunes chenilles, exemple extraordinaire du raffinement des stratégies de coopération biologique entre plantes et animaux (Voir Etude).
En mars 2012, des chercheurs israéliens de l'Université Ben Gourion ont découvert que les plantes étaient capables d’échanger des signaux de détresse par le biais de leurs racines (Voir article). Dans cette étude, dirigée par le biologiste végétal Ariel Novoplansky, les chercheurs ont exposé progressivement cinq plantes de jardin à des conditions de sécheresse. Ils ont constaté que la première plante soumise à ce stress hydrique essayait de réagir pour lutter contre cette perte d'eau et qu’elle émettait, via ses racines, des signaux d’alerte pour informer les plantes voisines de cette menace et leur permettre de s'y préparer.
"Ces travaux montrent que les plantes sont capables, à un certain niveau, d'apprendre, de se souvenir et de répondre efficacement aux menaces de l'environnement, comme pourraient le faire des être complexes avec un système nerveux central", souligne Ariel Novoplansky.
En janvier 2013, des chercheurs de l’Inra firent une autre nouvelle découverte surprenante : pour rester droites, les plantes ne sont pas seulement capables de percevoir leur inclinaison par rapport à la gravité. Elles savent également évaluer leur propre courbure. Cette faculté, qu’elles partagent avec les animaux, est appelée proprioception et correspond à ce qu’il faut bien définir par une forme de conscience de leur structure et de leur mouvement.
Cette étonnante propriété a d’ailleurs un corollaire révélé en 2006 par des recherches effectuées par le chercheur Bruno Clair à l’Université de Kyoto (Voir NCBI). Celui-ci a montré que les arbres pouvaient agir sur la pression existante entre les cellules qui constituent leur réseau de cellulose, un peu à la manière dont nous contractons nos muscles pour bouger.
Bien entendu, les échelles de temps mises en œuvre sont différentes mais il n’en reste pas moins vrai, selon ces recherches, que les arbres possèdent, de manière distincte à leur capacité de croissance, une faculté de motricité dont ils savent très bien se servir pour s’adapter aux changements de leur environnement.
Mais n’est-il pas exagéré, en dépit de ces découvertes, de parler de perceptions sensorielles en évoquant le monde végétal ? Peut-être pas, si l’on en croit certaines avancées récentes et pour le moins troublantes en la matière.
Ludovic Martin, chercheur en biologie moléculaire végétale à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, qui travaille sur la mécanoperception chez le peuplier, a notamment montré que le tremble (une espèce de peuplier de la famille du saule) déclenche au bout de quelques minutes un gène spécifique, si l’une de ses branches est pliée sous l’effet d’un vent violent. Ce mécanisme permet à l’arbre de se « souvenir », pendant environ une semaine, de ce traumatisme dû au vent (Voir Dailymotion)
Le concombre, pour sa part, est muni de minuscules vrilles qui sont sensibles à d’infimes pressions, que la peau humaine serait bien incapable de percevoir, et déclenchent l’enroulement de cette plante. Cette plante, incapable de s'élever suffisamment sans utiliser comme support une autre plante, aurait développé cette remarquable capacité, qui s'apparente à un sens du toucher très développé, parce qu'elle était indispensable à sa survie, d'un point de vue darwinien.
Mais certaines plantes dites « holoparasites» (sans chlorophylle) ont également de l’odorat. Pour survivre et trouver rapidement de la nourriture, elles sont capables de repérer uniquement à l’odeur un légume ou une céréale comestible située à proximité !
Enfin, encore plus étonnant, d'autres plantes, comme le maïs, seraient sensibles à certains sons et à certaines fréquences sonores, si l’on en croit des recherches menées par l’Université d’Australie occidentale en 2012 (Voir The University of Western Australia).
Selon ces travaux très sérieux, les plants de Maïs seraient sensibles aux fréquences de l’ordre de 220 Hertz, proches de celles émises par leurs propres racines. Cette capacité de perception auditive, très efficace du point de vue énergétique, viendrait compléter la sensibilité lumineuse et biochimique de cette plante et renforcerait sa réactivité aux changements de son environnement.
A la lumière de ces fascinantes découvertes, on voit donc que, s’il est sans doute excessif, dans l’état actuel des connaissances, de parler « d’intelligence végétale », il existe à coup sûr une capacité adaptative des plantes qui semble s’appuyer sur différents modes de perception sensorielles qui vont bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer, il y encore trente ans.
Cette sensibilité végétale et cette extraordinaire faculté d’adaptation à leur milieu se manifestent par des modes de communication entre plantes mais également entre plantes et animaux, multiples, intriqués et extrêmement subtils, qui sont le fruit de plusieurs milliards d’années d’évolution. Il apparaît en effet de plus en plus clairement, à la lumière de ces recherches, que les plantes, bien que dépourvues de système nerveux, n'en possèdent pas moins des capacités surprenantes de perception et d'analyse sensorielles ainsi qu'un certain mode de "conscience" diffuse du monde extérieur, même s'il faut évidemment se garder de toute analogie anthropocentrique en la matière.
Au-delà de l’intérêt scientifique que présente la connaissance fondamentale de ces mécanismes, l’élucidation de ces systèmes de perception, de communication et d’action des plantes représente un enjeu majeur pour adapter nos espèces végétales au changement climatique inévitable à venir et pour relever, dans le respect de l’environnement, le défi de l’augmentation de la productivité agricole auquel nous allons devoir faire face pour nourrir plus de 9 milliards d’humains dans 40 ans.
René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat