Magazine Amérique latine
Le peintre et dessinateur de presse Miguel Rep, caricaturiste en titre à Página/12, vient de la faire, cette première caricature significative du Pape, dans la revue Veintitres, dont il est l'illustrateur politique.
Il avait réalisé une première caricature, assez ratée à mon goût, dans Página/12 le vendredi suivant l'élection (le visage caricaturé était certes reconnaissable mais l'idée n'avait guère d'impact). Pour ma part, je sentais l'artiste toujours assommé par la surprise et son habituelle inspiration incisive lui faisait encore défaut, tant dans le dessin que dans l'idée mise en œuvre qui restait très hésitante. Avant-hier, il transformait l'essai avec un concept génial (toujours à mon goût) et très maîtrisé, qui unissait dans une seule case, révolutionnaire pour un tel auteur, la croix du Christ et le mate de l'amitié argentine (voir mon article du 20 mars 2013), tout en restant dans un univers idéologique d'esprit dit libre.
Cette fois, il prend son sujet à bras le corps, il affiche en toutes lettres sa position philosophique et le message est plus consistant sans être agressif. Il reflète assez fidèlement la perplexité de ce secteur de la gauche athée, nourrie d'une longue tradition d'anticléricalisme, qui se lit nettement aujourd'hui dans les bifurcations empruntées par le quotidien Página/12 (voir mon autre article de ce jour).
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Traduction présentée de haut en bas
A gauche
Pape François, alias Pancho (1) Le premier pape latino-américain Le pape péroniste (donc comme qui dirait "argentin") (2) Supporter de San Lorenzo (3). On a un "saint" garanti sur facture (4). Rep (signature d'un infidèle)
A droite Cardinal Jorge Bergoglio. Maintenant il utilise un pseudo. Il a choisi Francesco. Il serait né uruguayen, il aurait choisi Francescoli (5) Récupérera-t-il les fidèles perdus pour l'Eglise ? (6) Rétablira-t-il les finances ? (7) Récupérera-t-il les Malouines ? (8) Mate papal. Bombilla jésuite (9)
En ce moment, il y a trois Argentins chefs d'Etat : Cristina, Máxima de Holanda (10) et Bergoglio du Vatican (11). Le monde est perdu ! (12)
* * * * Deux erreurs dans ce dessin et elles sont significatives : la moue du Pape (alors qu'on sait bien à quel point l'homme est souriant et affable) et la croix pectorale en or (or cette croix pectorale en métal non précieux, c'est le tout premier signe envoyé par le Pape au monde entier et sans un mot dès les premières secondes de sa première apparition à la loggia de la Basilique Saint-Pierre). Le dessin dans son ensemble montre que Rep a maintenant de bonnes dispositions envers le nouveau Pape mais il reste encore chez lui des bastions inexpugnables et ce qui me chagrine, c'est qu'ils se manifestent ainsi dans des petits détails à travers lesquels l'auteur émet des messages erronés mais qui, puisqu'ils sont discrets, ont de bonnes chances de passer inaperçus. L'armistice n'est pas encore signé !
(1) Pancho est le diminutif de François très apprécié en Argentine. C'est aussi le nom argentin du hot-dog (perro caliente en Espagne). Rep ne manque pas de culot mais c'est une grande part du talent d'un dessinateur de presse et, plus largement, d'un humoriste. (2) Une rumeur (je n'ai pas vu jusqu'ici qu'elle ait été documentée par la moindre preuve mais bon, pourquoi pas ? et puis ça a pu m'échapper) une rumeur, donc, veut que dans sa jeunesse, avant d'entrer au noviciat dans la Compagnie de Jésus, Jorge Bergoglio ait eu sa carte du parti justicialiste. Ce qui serait plutôt le signe d'un solide engagement contre l'impérialisme nord-américain, car cela ne peut pas s'être passé avant le renversement de Perón en 1955. Or pour prendre cette carte-là après ce coup d'Etat, télécommandé par la CIA, il fallait une bonne dose de courage ! La chasse aux sorcières anti-péronistes de cette époque-là était assez brutale. (3) Voir mon article du 19 mars 2013 sur les vœux envoyés à Rome par le Club Sportif San Lorenzo de Almagro, dont le Pape est membre depuis l'enfance. (4) Avec le corbeau (voir mon article du 19 mars 2013), les membres du San Lorenzo et surtout les joueurs sont los santos (les saints, à cause de l'origine confessionnelle du club, probablement comme les corbeaux d'ailleurs, bien que la nuance péjorative ait disparu, comme si souvent lorsque les Portègnes relèvent les insultes pour en faire un signe de fierté). Ils sont aussi los azulgranas (bleu-grenat), comme on le voit sur le dessin où le Pape porte le maillot et l'écusson du club... (5) Allusion à Enzo Francescoli, un des plus brillants attaquants milieu de terrain que l'Uruguay ait connus. Sa carrière carrière s'est déroulée dans les années 80 et 90. C'est un contemporain des exploits de Maradona. Son dernier club professionnel a été le River Plate de Buenos Aires. (6) Un vrai problème en Argentine dont l'Eglise catholique connaît deux types de fuite : un phénomène de déchristianisation croissant concentré en milieu urbain (similaire à ce qu'a connu l'Europe vers la fin du XIXe siècle) et la séduction de l'Eglise évangélique (d'origine protestante et charismatique) et de bon nombre de sectes chrétiennes fonctionnant sur le modèle des télé-évangélistes des Etats-Unis, parfois à la limite du phénomène sectaire, avec une relation à l'argent qui ne sont pas toujours des plus claires. (7) Les soupçons autour de la Banque du Vatican. Il n'y a pas en Argentine de baisse des recettes pour l'Eglise comme c'est le cas en Allemagne par exemple. (8) Lundi, la Présidente a demandé la médiation du Saint-Siège entre l'Argentine et la Grande-Bretagne et les Argentins de gauche sont assez sceptiques sur la réussite de cette voie diplomatique. (9) Allusion au cadeau de la Présidente au Pape lors de sa première audience, le 18 mars (voir mon article du 19 mars 2013 sur cet autre sujet) (10) Faux. D'abord ce n'est pas fait. L'abdication de la Reine Beatrix des Pays-Bas n'interviendra que le 30 avril. Et ensuite Máxima ne sera jamais Chef d'Etat. Même si un jour, elle devait devenir régente du royaume en lieu et place d'une de ses filles mineures. Ce sera le rôle de son mari puis de sa fille aînée. Voir mon article du 31 janvier 2013. (11) Dernier petit coup de patte pour tenter de ramener le Pape vers une imagerie monarchique dont visiblement la fonction vient de sortir et probablement pour toujours (ou pour très très longtemps). (12) Allusion au profond défaitisme des Argentins qui se marie bizarrement à une forme de chauvinisme exacerbé. Je me souviens d'une conversation à bord d'un avion Aerolineas avec des médecins argentins juste après la renationalisation de la compagnie aérienne. Et ils étaient persuadés que tout irait désormais de mal en pis et que même le vin servi à bord se transformerait bientôt en piquette. C'était terrible de voir ce défaitisme chez ces médecins alors que le personnel de cabine avait retrouvé un sourire et une fierté d'appartenance qui se sentait dès que vous mettiez le pied à bord... Beaucoup d'Argentins ont l'art de refuser de croire que les choses peuvent aller mieux même quand ils en ont les preuves sous les yeux...