Quai du Louvre. Quelques gravats jonchent l’entrée du cadavre de la Samaritaine. Vestige de travaux. Sur les murs, des traces d’anciennes affiches qu'on ne soupçonne presque plus. Les portes du bus s’ouvrent sur des passagers fantômes. Il est 17h10.
Peu à peu, le bruit du composteur de tickets et des demandes d’arrêt se mêlent au ronronnement du moteur. Les fauteuils en moquette multicolore se remplissent. Un passager en remplace un autre. Le cocon s’anime. Deux dames âgées évoquent le passé. Foulard en soie autour du cou. Ca sent la vanille et le parfum de grand-mère. « J’ai habité ici, rue Guynemer, il y a longtemps. - Il faut dire que le quartier a beaucoup changé, avec toutes ces boutiques qui se transforment, on ne retrouve plus rien ».
Dehors, on tourne un film. Les techniciens se hâtent avec perches, projecteurs et caméras. Ils vont saisir l’image, immortelle, sans cesse inachevée. Une scène coupée du reste de l’histoire. Un peu comme on regarde à travers une fenêtre en mouvement.
Montparnasse. Le composteur s’affole. Des touristes se tiennent déjà devant la sortie, impatients d’arriver. Les chapeaux côtoient à présent les bonnets, les sacs à main côtoient les sacs à dos. L’heure de la fin des cours a sonné. Les valises roulent, les gens se poussent pour monter et descendre. Les touristes sont enfin sur le trottoir. Appareil photo, plan, et banane à la taille, ils sont prêts à entreprendre l’ascension de la tour.
Un homme, appuyé contre la vitre, parle tout seul. Gaîté. « Les femmes et les enfants d'abord », déclare t-il. Il laisse les passagers descendre avant de s'engager vers la sortie en riant.
Porte de Châtillon. Les deux dames âgées sont restées dans le bus, contraintes peut-être de s’exiler en banlieue. Au loin, le train passe devant des barres d’immeubles, le soleil est bien descendu. Sur le trottoir, un oiseau cherche son dîner dans une poubelle renversée.
Le bus s’arrête. Le cocon se désintègre. Il sera vite remplacé par un autre. Les tranches de vie se croisent, disparaissent et se superposent.
« Vanves Lycée Michelet. Terminus. Tous les voyageurs sont invités à descendre. »