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[Critique] LA RELIGIEUSE de Guillaume Nicloux

Par Celine_diane
[Critique] LA RELIGIEUSE de Guillaume Nicloux
On savait Nicloux, réalisateur de Cette femme-là, Une affaire privée ou encore La Clef, bien porté sur les atmosphères asphyxiantes. Son choix d’amener à l’écran le récit de la Religieuse de Diderot- une seconde fois après l’adaptation de Jacques Rivette dans les années 60, n’est donc qu’à demi surprenant : il y a dans ce pamphlet peu tendre envers la hiérarchie et la pseudo morale ecclésiastiques, un terrain parfait à la culture des émotions les plus complexes, et ce, au sein même du lieu étouffant par excellence qu’est le couvent. On est au XVIIIème siècle, et c’est un film en costumes. Pourtant, la Religieuse est un personnage ultra moderne, femme rebelle qui s’élève contre la soumission, les règles imposées, et l’absence de liberté. Un combat universel, intemporel, qui a encore du sens dans notre époque contemporaine. On y suit donc Suzanne (excellente Pauline Etienne), adolescente de seize ans, forcée par sa famille à entrer au couvent. Là, elle y découvre la cruauté obscurantiste, les humiliations, des Sœurs sans pitié, féroces, malsaines. A chaque convent, son lot de peine. A chaque fois, une même rage sourde qui grandit en elle : la rébellion. Pour parfaire son ode à la liberté, et dépeindre le calvaire de la nonne malgré elle, Nicloux trouve la bonne distance : la dose suffisante d’académisme, qui rend son adaptation très crédible, et la volonté sage d'esquiver toute complaisance. Sa Religieuse évite ainsi le trop plein glauque, d’un côté, l’ambiance poussiéreuse, de l’autre. Ses plans se révèlent tous aussi maîtrisés que beaux, plongeant le spectateur, lentement mais sans l’ennuyer, dans le quotidien de cette jeune femme enfermée contre son gré. 
Là où Nicloux fait très, très fort, c’est côté casting. Voir Louise Bourgoin, dépouillée de tout artifice (pas de maquillage) et filmée à la bougie, se montrer aussi impitoyable, sous son voile de bonne sœur, vaut déjà le détour. La cerise sur le gâteau, c’est Isabelle Huppert en sœur lesbienne aux pulsions incontrôlées et incontrôlables. En un regard, une séquence, elle impose son charisme et surpasse toutes les forces féminines en présence. Son personnage de Sœur foldingue, figure paroxystique des malaises inhérents à une vie cloisonnée, est la puissante dernière touche d’un tableau sans concession sur les agissements de l’Eglise. Nicloux, comme Diderot, ne parle d'ailleurs pas de foi et ne remet jamais en question les croyances de son héroïne. Il parle des conséquences de l’enfermement sur les êtres : l’autorité qui se mue en tyrannie, le pouvoir en abus de pouvoir, l’enfoui en folie, l’interdit en pulsion animale. A travers les trois Sœurs, et les trois couvents visités par Suzanne, il met en image les dérives des prisons physiques et mentales : le reniement du soi et la dévotion excessive conduisant fatalement à un sadisme exacerbé, et au déversement brutal des frustrations les plus sombres. A l’écran, tout y est clair mais subtil, bourré de rigueur mais toujours captivant. Et à l’instar du roumain Au-delà des collines de Mungiu (qui n’était, finalement, qu’un grand film sur l’amour-poison), sa Religieuse n’est pas un film « de couvent ». C’est un film sur la liberté. Liberté nécessaire à l’esprit, à l’âme, au corps, pour empêcher l’humain de devenir fou. 
[Critique] LA RELIGIEUSE de Guillaume Nicloux

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