Ce livre est une chute qui ne cesse de tomber avec nous dès le premier
poème qui tombe dans le suivant et nous entraîne avec des mots qui tombent avec
des bruits, des simples lettres qui tombent des lignes et qui découpent le sens
avec du blanc pour remonter dans le poème suivant qui s’ouvre avec un corps de
dieu, de christ ou d’ange dans l’air,
N’ayant d’autre but que celui de choir
Comme le vers et la vermine à la pente de poème. (p.44)
De nombreux risques sont pris par N.
Jaen dans ce livre. En premier lieu celui du ridicule qui pourrait naître de
l’emphase contenue dans certains vers. Mais il y a bien d’autres risques encourus ici : se
noyer, par exemple, comme le fait le poète, dans l’absence, dans la nuit, se
jeter dans le lieu où, exactement, il n’y a plus de paroles et remonter pour
dire, malgré tout :
Ce tomber dans tomber, quand le noir vous siffle et
vous bave, vous vomit. (p.44)
…
Il fait nu. Et froid. Le vent claque des dents,
appuie une épaule
contre la forêt. Rien n’existe. Dieu me rêve. Je suis sauf. (p.26)
Et nous reconnaissons le Veilleur dans ces poèmes, comme dans les proses de
Rimbaud. Ce veilleur est l’ange, mais aussi le Non-ange, celui qui est le
découvreur, l’assistant :
L’ange qui passe
Sans ombre, allant de pièce en pièce dans cette maison
… Moi marchant sur mon ombre d’un pied de danseuse.(p.34)
L’assistant aux miracles qui nous parle du lieu où nous sommes, le décrivain
du spectacle parcouru, des paniques et des joies sans interruption du poème.
Il a marché dans la mort, il a fini par
quitter ce corps, à la nage
…Ô comme c’est loin, la mer à porter
la terre en cheminant ô.(p.37)
Les poèmes de Nicolas Jaen ne cessent de chercher où nous sommes,
cachés, avec des mots qui disent l’absence, la douleur, ils disent ce que nous
taisons, ils s’emparent de l’espace de la page pour nous faire tomber et
rebondir dans un autre lieu où nous recommençons d’exister, dans l’équilibre
d’un nouveau texte qui menace à nouveau de sombrer :
On enterre les ailes, on passe du tu au su,
Sans le revolver d’argent nu sans ses douilles d’or mort. (p.21)
et nous ramène ensuite,
L’œil en haut, par des nuages comme d’épais mammouths, (p.33)
…
Les fruits les plus murs tombent comme des parachutistes (p.39)
Oui, ces poèmes sont écrits pour s’alléger de la mort (p.27) et il
faut lire Ange passant sans ombre dans La nuit refermée avec tous
ses mots.
Revirement, c’est la lumière d’une vie toute simple qui reprend pied
dans la deuxième suite de poèmes de Nicolas Jaen, c’est la survie indispensable
après la nuit d’Ange passant sans ombre :
Notes du dormeur ses fleurs
taillées de songe
Le serpent y rampe fait siffler le buisson un instant (p.56)
…
Trois coups pointés de sécateur dans l’espace nu
L’odeur ressuscitée du lilas à la
fenêtre tient(p.53)
Le corps souffrant, le corps mourant de Rimbaud évoqué dans Royaume
n’arrive pas à nous émouvoir autant que les poèmes qui le précèdent. Ce texte,
qui renoue avec les mots de Mandelstam et l’image de Danièle Flayeux, tente de
nous faire partager la tristesse de cette fin à l’hôpital de la Conception, le cancer
du cavalier provoqué par une chute de cheval, mais non, Rimbaud n’a rien à
voir avec cette mort. Il est vivant, il est toujours vivant et sa présence est
aveuglante sur les chemins empruntés par l’ange de La nuit refermée.
[Vianney Lacombe]
Nicolas Jaen
La nuit refermée
Frontispice de Daniele Flayeux
L’arachnoïde
80 p., 14 €