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[note de lecture] "La nuit refermée" de Nicolas Jaen, par Vianney Lacombe

Par Florence Trocmé

JaenLa nuit refermée de Nicolas Jaen est ornée d’un frontispice consacré à Rimbaud par Daniele Flayeux. Bien sûr. Comment ne pas y penser après avoir lu Ange passant sans ombre, qui est le cœur de ce livre, précédé de ces quelques vers d’Ossip Mandelstam : Le cheval gît dans la poussière, il hennit, couvert d’écume, /Mais la torsion violente de son cou/ Garde mémoire de la course aux foulées élancées 
Ce livre est une chute qui ne cesse de tomber avec nous dès le premier poème qui tombe dans le suivant et nous entraîne avec des mots qui tombent avec des bruits, des simples lettres qui tombent des lignes et qui découpent le sens avec du blanc pour remonter dans le poème suivant qui s’ouvre avec un corps de dieu, de christ ou d’ange dans l’air, 
N’ayant d’autre but que celui de choir 
Comme le vers et la vermine à la pente de poème. (p.44) 
De nombreux  risques sont pris par N. Jaen dans ce livre. En premier lieu celui du ridicule qui pourrait naître de l’emphase contenue dans certains vers. Mais il y a  bien d’autres risques encourus ici : se noyer, par exemple, comme le fait le poète, dans l’absence, dans la nuit, se jeter dans le lieu où, exactement, il n’y a plus de paroles et remonter pour dire, malgré tout : 
 
Ce tomber dans tomber, quand le noir vous siffle et  
  vous bave, vous vomit. (p.44) 
… 
Il fait nu. Et froid. Le vent claque des dents, 
  appuie une épaule 
contre la forêt. Rien n’existe. Dieu me rêve. Je suis sauf. (p.26) 
Et nous reconnaissons le Veilleur dans ces poèmes, comme dans les proses de Rimbaud. Ce veilleur est l’ange, mais aussi le Non-ange, celui qui est le découvreur, l’assistant :  
L’ange qui passe 
Sans ombre, allant de pièce en pièce dans cette maison 
… Moi marchant sur mon ombre d’un pied de danseuse.(p.34) 
L’assistant aux miracles qui nous parle du lieu où nous sommes, le décrivain du spectacle parcouru, des paniques et des joies sans interruption du poème. 
Il a marché dans la mort, il a fini par quitter ce corps, à la nage 
…Ô comme c’est loin, la mer à porter la terre en cheminant ô.(p.37) 
Les poèmes de Nicolas Jaen ne cessent de chercher où nous sommes, cachés, avec des mots qui disent l’absence, la douleur, ils disent ce que nous taisons, ils s’emparent de l’espace de la page pour nous faire tomber et rebondir dans un autre lieu où nous recommençons d’exister, dans l’équilibre d’un nouveau texte qui menace à nouveau de sombrer : 
On enterre les ailes, on passe du tu au su,  
Sans le revolver d’argent nu sans ses douilles d’or mort. (p.21) 
et nous ramène ensuite, 
L’œil en haut, par des nuages comme d’épais mammouths, (p.33) 
… 
Les fruits les plus murs tombent comme des parachutistes (p.39) 
Oui, ces poèmes sont écrits pour s’alléger de la mort (p.27) et il faut lire Ange passant sans ombre dans La nuit refermée avec tous ses mots. 
Revirement, c’est la lumière d’une vie toute simple qui reprend pied dans la deuxième suite de poèmes de Nicolas Jaen, c’est la survie indispensable après la nuit d’Ange passant sans ombre : 
Notes du dormeur   ses fleurs taillées   de songe 
Le serpent y rampe   fait siffler le buisson   un instant (p.56) 
… 
Trois coups pointés   de sécateur   dans l’espace nu 
L’odeur ressuscitée   du lilas à la fenêtre   tient(p.53) 
Le corps souffrant, le corps mourant de Rimbaud évoqué dans Royaume n’arrive pas à nous émouvoir autant que les poèmes qui le précèdent. Ce texte, qui renoue avec les mots de Mandelstam et l’image de Danièle Flayeux, tente de nous faire partager la tristesse de cette fin à l’hôpital de la Conception, le cancer du cavalier provoqué par une chute de cheval, mais non, Rimbaud n’a rien à voir avec cette mort. Il est vivant, il est toujours vivant et sa présence est aveuglante sur les chemins empruntés par l’ange de La nuit refermée
  
[Vianney Lacombe] 
Nicolas Jaen 
La nuit refermée 
Frontispice de Daniele Flayeux 
L’arachnoïde 
80 p., 14 € 


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