Des personnages à priori antinomiques

Par Borokoff

A propos de The Place Beyond the Pines  de Derek Cianfrance et La Religieuse de Guillaume Nicloux

Ryan Gosling

Tiens, voilà un revenant, me direz-vous, en lisant cet article. Eh bien oui, le cinéma ne me motivait plus tant que cela ces derniers temps, j’étais pris par d’autres projets, toujours dans l’écriture, mais beaucoup plus personnels. Je reviens, donc, avec une chronique sur deux films qui m’ont particulièrement marqué cette semaine, en particulier La Religieuse de Nicloux, aussi formidablement interprété par une (quasi)novice, Pauline Etienne, que servi par une pléthore de seconds rôles majestueux, de Marc Barbé à Isabelle Huppert en passant par Agathe Bonitzer et Gilles Cohen…

Pourquoi comparer deux films qui n’ont à priori rien à voir ? Bonne question. The Place Beyond the Pines est une vaste saga américaine et familiale qui s’étend sur quinze ans et raconte les parcours antinomiques, dans un bled paumé de l’Etat de New-York, de Luke (Ryan Gosling, toujours aussi à l’aise dans la peau de personnages à côté de leurs pompes pour ne pas dire mutiques après Drive et Une fiancée pas comme les autres) et Avery Cross (Bradley Cooper). Luke, motard et cascadeur occasionnel pour un cirque, va devenir un redoutable braqueur de banques pour subvenir aux besoins du fils qu’il a eu avec une ex (la toujours aussi sensuelle Eva Mendes) dont il est toujours amoureux. Avery est au contraire un flic ambitieux d’abord désireux de lutter contre la corruption qui gangrène son service avant de vouloir rentrer en politique. C’est lui qui aura la peau de Luke avant que quinze ans plus tard, les fils respectifs de ces deux-là ne deviennent amis, sans se douter du terrible passé qui les lie.

Pauline Etienne et Isabelle Huppert

De part en part traversé par un souffle épique et tragique inspirés de James Gray (sans jamais atteindre la grandeur de son style) que renforcent les superbes compositions de Mike Patton, The Place beyond The Pines vaut surtout par le jeu de ses deux acteurs principaux et l’ambition de son réalisateur. Aux élans mystiques de Luke, personnage tout en rédemption mais qui fera les mauvais choix pour sauver sa famille de la banqueroute, s’opposent ceux beaucoup plus païens de Suzanne, religieuse française embrigadée de force dans un couvent au XVIIIème siècle pour y devenir nonne alors qu’elle rêvait de vivre dans le monde et connaître des plaisirs terrestres. Sans doute Luke et Suzanne partagent-ils, au-delà de leurs aspirations opposées, le même désir de salut pour leur âme.

Pauline Etienne

Adapté du roman éponyme et en épisodes, publié à titre posthume en 1796 (ce qui n’altéra en rien le scandale qu’il produisit) par Denis Diderot (1713-1784), La Religieuse raconte les souffrances morales et physiques de Suzanne, provoquées par les humiliations et autres mauvais traitements infligés par ses consœurs et notamment la cruelle et malveillante Mère Supérieure du couvent Sainte Marie, jouée par Louise Bourgoin. Le destin tragique de Suzanne, dont la seule faute est d’être née fille illégitime, est retracé avec fidélité et précision par Guillaume Nicloux. On se souvient que La Religieuse était une charge violente contre l’Eglise et les méthodes de punitions corporelles qu’elle appliquait aux soeurs réfractaires, pourtant contraires aux inspirations et à la vocation de l’Eglise. Le film de Nicloux ne déroge pas au roman du philosophe des Lumières. Il n’enlève rien non plus à la dimension polémique du livre, puisque comme on le sait, les épisodes les plus provocants du livre culminent lorsque Suzanne, qui a pu changer de couvent par l’entremise d’un avocat ému par sa cause, se fait séduire par La Mère Supérieure de Saint Eutrope (Isabelle Huppert, toujours aussi à l’aise dans des rôles ambigus pour ne pas dire malsains) qui l’exhorte à l’embrasser, ce que la chaste Suzanne se refusera à faire, outrée pour ne pas dire dégoûtée avant de devenir indifférente aux avances de sa Mère Supérieure qui en deviendra folle.

N’ayant pas vu – et ne pouvant donc pas comparer – l’adaptation de Rivette de La Religieuse  en 1967, je louerais donc à nouveau le jeu tout en intériorité, tout en émotions et en ressentis de la jeune Pauline Etienne, bien épaulée sur ce coup-là par les excellents seconds rôles cités plus haut comme par les compositions de Max Richter. Un film tout en finesses. A ne pas manquer donc, comme on dit…

http://www.youtube.com/watch?v=ltF5o9dfp34

La Religieuse, film français de Guilluame Nicloux avec Pauline Etienne, Isabelle Huppert, Louise Bourgoin… (01 h 54)

The Place Beyond the Pines, film américain de Derek Cianfrance Derek Cianfrance avec Bradley Cooper, Ryan Gosling, Eva Mendes (02 h 20)