Camille Claudel, dont le Musée Rodin présente une rétrospective assez complète jusqu’au 20 Juillet, a eu une vie tragique, que romanciers et cinéastes ont célébrée, et sur qui tout un chacun peut projeter sa vision du monde, de l’oppression, de la psychiatrie et du féminisme. Cette exposition est justement l’occasion de sortir de tout ce pathos et de regarder son travail en face.
On commence par une bonne élève, une sculptrice douée, voire virtuose dans La Valse par exemple. On continue avec de belles sculptures symbolistes (Sakountala), des allégories transparentes de femme abandonnée (L’âge mûr), des joliesses (La Petite Châtelaine) et des grandiloquences (ses compositions un peu kitsch avec marbre /onyx, comme La Vague). Tout cela fait une bonne sculptrice XIXème, au moment où Rodin, lui, compose et décompose, bâtit sa Porte en un montage de sculptures existantes ou, au contraire, décompose ses structures en abattis et en fragments, inventant un nouveau langage de montage et de déconstruction, nouvelles compositions formelles qui annoncent le XXème siècle.
Mais il y a Clotho, la fileuse, une des Parques. Non pas tant les deux bronzes présentés ici qu’un plâtre, jamais coulé en bronze (trop complexe ?), qui est, de loin, la pièce la plus importante de cette exposition. Camille Claudel, pour une fois, y ose la laideur la plus radicale, le choc le plus violent, la transgression la plus inacceptable. Cette vieille femme au corps maigre, aux mamelles pendantes comme des outres flasques, au ventre ballonné, au sexe flétri, se couvre de charpies, de linges striés, tordus qui l’enserrent comme un serpent, comme un cocon, comme un linceul. Son visage à demi voilé laisse voir une bouche hideuse, édentée, prête à hurler de douleur.
Après ce hurlement muet, comment s’extasier sur la petite châtelaine ?
Camille Claudel, Clotho, 1893, plâtre, 89,9 x 49,3 x 43 cm, S. 1379, © musée Rodin (Photo : Ch. Baraja), © ADAGP, Paris, 2008. Photo retirée à la fin de l’exposition, mais les liens conduisent à d’autres photos.