Jean Raoux (Montpellier, 1677-Paris, 1734),
Couple dansant dans un parc, 1725
Huile sur toile, 52 x 63 cm, Pommersfelden, château de Weissenstein
(cliché tiré du site internet La Tribune de l'Art)
Après Marin Marais et Antoine Forqueray, les sieurs Demachy et Sainte Colombe, il était, en quelque sorte, logique que le parcours du violiste Paolo Pandolfo finisse par s'attarder sur le legs destiné à son instrument par un musicien que l'on n'associe pas naturellement avec ce dernier, François Couperin. Augmentée de deux Concerts et d'une pièce choisis dans le recueil Les Goûts-réünis, sa vision des Pièces de violes paraît aujourd'hui chez Glossa.
Au cœur d'une brûlante journée de l'été 1728, le jour de l'Assomption de la Vierge, mourut à Paris monsieur Marin Marais. Avec ce musicien fameux s'éteignait le représentant le plus illustre de l'école française de viole, maître admiré et respecté dans l'Europe entière. Cette même année, François Couperin fit paraître les Pièces de violes avec la basse chiffrée par Mr F.C., avant-dernière manifestation de son talent avant le Quatrième Livre de pièces de clavecin sur lequel se refermera sa carrière en 1730. On ignore tout de la genèse de ces Pièces de violes, mais elles sont indubitablement proches par l'esprit de celles qui constituent les ultimes Ordres du Quatrième Livre, recueil qui fut, s'il faut en croire sa préface, composé « environ trois ans » avant sa publication, soit vers 1727 ; on peut donc gager sans trop de risques que toutes ces pages sont à peu près contemporaines et que celles pour violes ne demeurèrent pas trop longtemps dans les portefeuilles de leur auteur avant d'être proposées au public.
Les Pièces de violes sont des miraculées qui n'ont survécu que dans un unique exemplaire conservé aujourd'hui à la
Bibliothèque nationale de France où Charles Bouvet les identifia en 1922 après qu'elles eurent dormi durant presque deux siècles dans l'anonymat des simples initiales de leur page de titre.
François Couperin n'en était pas, avec elles, à son coup d'essai en matière de musique pour un instrument dont on sait la vogue qu'il avait rencontrée en France tout au long du XVIIe siècle – son oncle Louis (c.1626-1661) était un violiste de renom, même s'il est aujourd'hui connu pour son étonnante musique pour clavier – puisqu'il
composa un des Concerts de ses Goûts-réünis (1724), le Douzième en la majeur ainsi que la Plainte du Dixième en la mineur, expressément pour lui, tandis que
le Treizième en sol majeur, indiqué « à deux instruments à l'unisson », peut également les autoriser. Ces premiers essais sont pleins de charme et d'élégance, avec des
harmonies faisant le pari de la simplicité, de la consonance, et d'un niveau de difficulté raisonnable qui les met à la portée des amateurs. Toutes autres sont les ambitions des Pièces de
violes qui requièrent des interprètes chevronnés pour affronter tant leurs exigences techniques qu'émotionnelles. Le recueil est organisé en deux suites dont seule la première répond aux
exigences canoniques du genre avec sa succession de danses.
Par un singulier croisement de calendriers, la lecture proposée par Paolo Pandolfo et ses compagnons paraît quelques semaines
après la réédition d'un enregistrement qui a définitivement marqué la discographie des Pièces de violes, lequel réunissant Jordi
Savall, Ariane Maurette et Ton Koopman à Saint-Lambert-des-Bois en décembre 1975 et fut la première parution, l'année suivante, d'un label promis à un glorieux avenir, Astrée. La comparaison,
tentante, met immédiatement en lumière les différences importantes entre les deux visions ; là où Savall choisissait la densité et la rondeur du son, Pandolfo décide, quitte à durcir son
timbre et à se livrer à quelques infimes dérapages, de faire saillir les angles, d'accentuer les contrastes en insistant parfois même quelque peu sur la raucité de son instrument, et d'alléger
la pâte, opposant à l'atmosphère nocturne et au caractère méditatif brossés par son aîné un tempérament nettement plus solaire et une agogique où affleurent à chaque instant les rythmes de la
danse. Le refus de tout alanguissement, qui ne signifie pas pour autant l'abandon de l'intériorité (la Plainte pour les violes en apporte une belle preuve), culmine peut-être dans la
fameuse Pompe funèbre ; le Catalan, dont on connaît les affinités avec cette pièce, l'emplissait d'un lyrisme intimiste et la portait généreusement à une durée approchant les dix
minutes, l'Italien lui accorde la moitié de ce temps et l'oriente vers des teintes plus nostalgiques que réellement tragiques qui pourront paraître ne rendre qu'imparfaitement compte du
Très gravement voulu par Couperin.
Il y a fort à parier que ce disque ne fera pas l'unanimité, tant il semble parfois prendre à dessein le contre-pied de la tradition interprétative inaugurée par l'enregistrement de Savall, lequel demeure, à mon avis, la porte d'entrée obligée pour faire connaissance avec les Pièces de violes de François Couperin. Je garantis cependant à ceux qui feront le pari de suivre le chemin audacieux ouvert par Paolo Pandolfo et ses amis la découverte de paysages inédits et passionnants vers lesquels ils prendront un plaisir croissant à revenir.
Paolo Pandolfo, basse de viole
Amélie Chemin, basse de viole
Thomas Boysen, théorbe & guitare baroque
Markus Hünninger, clavecin
1 CD [durée totale : 59'50"] Glossa GCD 920414. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Première Suite en mi mineur : Prélude (gravement)
2. Douzième Concert en la majeur : Gracieusement et légèrement
3. Deuxième Suite en la majeur : La Chemise blanche (très viste)
4. Plainte pour les violes (lentement, et douloureusement – plus légèrement et coulé)
Illustrations complémentaires :
Anonyme, Portrait de François Couperin, sans date. Crayon sur papier, 10,5 x 9 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France
La photographie de Paolo Pandolfo, Amélie Chemin, Thomas Boysen et Markus Hünninger est de Christoph Frommen, utilisée avec l'autorisation de Glossa.