Aujourd'hui rejetée, la proposition de taxer les comptes bancaires chypriotes n'en est pas moins dangereuse en tant que telle et dans ce qu'elle indique de l’état de la démocratie et de l’État de droit en Europe.
Par Patrick Smets, depuis Bruxelles, Belgique.
La récente proposition de lever une taxe « exceptionnelle » sur les comptes chypriotes n’est pas passée. On ne peut que s’en réjouir mais on se doit surtout de rester vigilant car le fait même que cette lubie ait été formulée et proposée à l’adoption montre que le délire gouvernemental a franchi de nouvelles limites.
On se doit de rester vigilant car cette vraie mauvaise idée n’aurait jamais dû être formulée tant elle était à la fois inepte et dangereuse. Et ce, à plusieurs titres.En premier lieu, cette proposition est moralement inique ; elle part de la prémisse selon laquelle, comme il y a de l’argent sale à Chypre, on va taxer tout le monde : riches à 10% et moins riches à 6%, les premiers au titre de leur malhonnêteté, les seconds au titre de la solidarité. Bref, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…
Fort bien… mais permettez, Messieurs les taxeurs, un commentaire en passant: quels citoyens ont la plus grande partie de leur fortune en argent liquide sur des comptes bancaires ? Il s’agit en général des plus pauvres (peu d’épargne et peu d’avoirs non financiers) et de ceux qui ne gèrent pas activement leur patrimoine financier (typiquement les vieilles personnes seules)… Les honnis riches et conspués mafieux ont plutôt tendance à gérer leur richesse de manière active en investissant leurs avoirs dans des opportunités plus rentables que le cash. Bref, non contente d’être moralement inique en théorie, la proposition l’est aussi en pratique !
Ensuite, la manière dont cette proposition allait s’exécuter s’apparente à un braquage en règle : le gouvernement décide de taxer les comptes ; simultanément, il fait fermer les banques pour éviter que les gens ne retirent leur argent… Le fameux « Que personne ne sorte !» du braqueur dans les mauvais films.
Cette proposition est enfin illégale du point de vue d’un État de droit. Pour rappel, un État de droit se caractérise par l’absence de caractère arbitraire dans le processus d’élaboration et d’application de la loi. La vitesse à laquelle ce vol a failli s’exécuter aurait requis beaucoup de mauvaise foi pour parler de processus démocratique plutôt que de pur arbitraire ou de fait du prince.
Les principes mis de côté, il faut aussi se rendre compte que cette proposition absurde aura avant tout été dangereuse à bien des égards et que, malgré son rejet, ses effets demeurent.
Soulignons en premier lieu qu’un tel braquage ne sera pas de nature à renforcer la confiance des clients en leur banque. Quelle réaction risque donc d’avoir une majorité de clients à la réouverture des banques ? Bingo : il retirera son argent et le mettra à l’étranger s’il est riche ou mafieux, ou sous son matelas s’il est pauvre. En économie, on appelle cela le « bank run » dont l’effet désastreux est de fragiliser le système économique et bancaire. Voilà donc l’économie chypriote menacée en conséquence directe d’une action gouvernementale dont le but était de… sauver les banques et l’économie !!
Bien pire en termes de dangerosité, le fait que cette idée aberrante ait été proposée et acceptée par plusieurs dirigeants européens montre que ceux-ci sont, au mieux, intellectuellement désorientés. Sans être nécessairement incompétents ou stupides, ils restent victimes de leurs logiciels de préservation des totems que sont la monnaie et le pouvoir gouvernemental. N’arrivant plus à réfléchir correctement, ils se comportent comme des apprentis sorciers ayant perdu tout sens moral et légal.
Cette délirante lubie aura ouvert une boîte de Pandore. Les États européens sont tous plus ou moins aux abois et plus personne n’est à l’abri d’autres propositions absurdes pour « sauver » l’un ou l’autre secteur. Si l’on n’est pas vigilant, le concept même d’État de droit aura fait long feu en Europe…
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