Une version loufoque et délicieuse du Didon et Enée de Purcell aux Bouffes du Nord, ou : qu’est-ce que l’opéra aujourd’hui ? Pour Samuel Achache et Jeanne Candel, c’est un mélange d’éléments classiques et contemporains où l’improvisation a la part belle.
Aux Bouffes du Nord à Paris, devant un parterre plein, un jeune homme s’avance — Florent Hubert, acteur, saxophoniste, clarinettiste et directeur musical — une clarinette à la main, pour nous expliquer l’harmonie des sphères et le pourquoi du prophète Jonas dans le ventre d’une baleine. Le rapport avec Didon et Enée de Purcell ? Celui qu’on voudra, vu qu’on a complètement oublié le raisonnement – c’est son aspect bouffon qui domine ; le public, hilare, n’a pas besoin de comprendre le discours pour entendre l’idée : imaginez un Didon et Enée trompeur, des musiciens interrompus, des acrobaties comiques, une machinerie illogique… Le Crocodile trompeur convoque tout cela et plus encore.
Tout de suite après les sphères et les baleines, Didon est déclarée malade d’amour par quatre savants anglais, fous et excellents mimes, tombés dans les profondeurs de son cœur. C’est foutu d’avance : Enée ira fonder Rome, malgré deux ou trois états d’âme qui, au passage, sont fatals à Didon, morte de chagrin. Voilà en gros les termes dans lesquels Vladislav Galard, violoncelliste-comédien-chanteur — c’est agaçant, ces gens qui savent tout faire — explique chaque scène avant qu’elle soit jouée et chantée (ce qui est bien pratique pour comprendre ensuite l’anglais de Purcell). Ce procédé, qui consiste à proposer deux versions différentes des quelques scènes clés choisies au préalable, une bouffonne et une sérieuse, crée une forme de distanciation très intéressante, qui fonctionne sur l’alternance rire/émotion (amenée surtout par le chant), et construit un discours sur ce qu’est l’opéra aujourd’hui en apportant une réponse radicale à l’éternelle question : pourquoi jouer un classique ?
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Le Crocodile trompeur © Pascal Gély
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