Magazine Humeur

Gérer l’espace, gérer la société

Par Triton95

Mike Davis, le sociologue américain a étudié dans « city of quartz » comment la disposition spatiale de la ville permettait de gérer les classes sociales, et la séparation. Orwell écrivait que maitriser le passé, c’est maitriser l’avenir, il en est de même pour l’espace.

Il suffit de la moindre discussion portant sur un espace à aménager pour que l’on découvre comment les gens ont bien intégré les contraintes liées à cet aménagement, et vont les orienter pour permettre une séparation, un évitement des autres, et gérer dans un mouchoir de poche les divisions profondes de la société française, notamment ses différences de génération et de culture.

Lorsque l’on réunit ainsi des gens, se déplacent plutôt des propriétaires, plutôt âgés, plutôt blancs, et l’on sait à quelles préoccupations vont répondre les préoccupations.

C’est presque le dessin d’une communauté fermée qui apparait en filigrane. Il s’agit de ne pas autoriser d’espace enfant, pour ne pas être incommodé par le bruit, les jeux de ballon. « Where do the children play » aurait chanté Cat Stevens. Il s’agit de ne pas mettre de banc, car on verrait stationner des populations indésirables. On évite aussi tout recoin, tout dénivelé, pour essayer d’enrayer le stationnement des dealers et des projecteurs pour ne plus laisser d’endroit dans l’ombre, ce qui explique qu’ils agressent parfois des aménagements dirigés contre eux. Il s’agit aussi de se protéger des invasions de motos, bruyantes et dangereuses, des barrières sont posées, elles sont arrachées par les jeunes qui veulent ne pas se laisser prendre l’espace, mais on les réinstalle. Le face à face n’est pas possible, on est dans l’évitement, la discussion est impossible.

On essaie aussi de donner une unité de matière, de rogner les jardins privés mal entretenus confiés à des gens pas assez méritants, et qui ont déçu. Certains aménagements visent à reprendre possession d’un espace public que certains ont privatisé. Il faut aussi réduire les incivilités, notamment canines, tant il semble aux propriétaires d’animaux que leur chien participent à marquer leur territoire à eux aussi, et de la pire façon. A travers les chiens, c’est une véritable lutte entre couches sociales qui se joue, il s’agit de repousser l’adversaire que l’on ne peut plus éduquer, en installant des haies, des barrières.

Travailler l’espace permet de réduire la possibilité de nuisance, de réduire l’emprise de l’autre, sans avoir besoin de l’affronter ni d’intervenir, ce qu’explique Mike Davis pour Los Angeles, les quartiers de relégation ne sont plus reliés avec le reste de la ville. Maitriser les lieux de passage, permet de réduire les frictions sociales, sans avoir besoin de le dire.

images



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Triton95 146 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines