(Fig.1) Sans Titre, 2012, Acrylique sur papier marouflé sur toile, 63,5 x 48,5-cm,Courtesy galerie Jérôme de Noirmont
Dans la catégorie artiste complète le nom de Marjane Satrapi mérite amplement sa place. Connue du grand public pour ses talents de dessinatrice de bandes-dessinées noir et blanc (Persépolis, Broderies, Poulet aux Prunes), de réalisatrice (Persépolis, Poulet aux prunes), où même récemment de comédienne (La Bande des Jotas), l’artiste iranienne révèle pour la première fois ses qualités de peintre à travers 21 toiles exposées dans la prestigieuse galerie parisienne Jérôme de Noirmont.
Un univers féminin mais pas féministe
Réalisées entre 2009 et aujourd’hui, ces peintures à l’acrylique représentent uniquement des portraits de femmes. La série se compose de 12 portraits solos (fig.1), 6 en duo (fig.2) et 4 groupés (fig.3). Si au rez-de-chaussée de la galerie les grands formats et l’animation des portraits à plusieurs sont mis à l’honneur, le premier étage nous plonge dans l’intimité des portraits solo où chaque protagoniste semble être perdu dans ses pensées. Bien que l’artiste nous invite ici dans un univers féminin, la galeriste Emmanuelle de Noirmont met en avant “une démarche très éloignée de tout féminisme“ et de préciser que Marjane Satrapi est tout simplement “plus inspirée par les visages féminins.“ Pas de combat idéologique donc, mais une attirance purement esthétique.
Le style Satrapi “ en couleur“
Le style épuré des bandes-dessinées de l’artiste telles que Poulet aux prunes se retrouve dans les peintures de Marjane Satrapi: quelques lignes suffisent à donner corps aux personnages. “L’apparente“ simplicité du trait contrebalance avec la très grande expressivité du regard des femmes. Mais ici le noir et blanc des bandes-dessinées a donné place à de la couleur vive où l’association des trois couleurs primaires à des non-couleurs (blanc, noir et gris) se répète dans la majorité des œuvres présentées. Traitées en aplat, les couleurs viennent remplir les formes et constructions géométriques des personnages faisant ainsi écho aux œuvres abstraites de Mondrian, artiste que Marjane Satrapi avoue admirer.
fig.2 Sans Titre 2012 Acrylique sur toile 150,3 x 100,5 cm Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont
Mises en scène énigmatiques
L’humour et la légèreté des bandes-dessinées ont disparu au profit d’une émotion plus intense. Les mises en scènes élaborées par la peintre laissent le visiteur en proie à de nombreuses interrogations. Dans les portraits solos, le personnage ne regarde jamais de face, le visage ou le regard est tourné vers l’extérieur de la toile. Comme le souligne Marjane Satrapi, “ce qui nous attire ici, c’est le hors-champs“ nous obligeant à nous demander ce que regarde la jeune femme du tableau. Dans les portraits groupés c’est le jeu de regard qui interpelle. Quelles relations le peintre veut suggérer entre les différents protagonistes ? Que se racontent-elles ?
Les femmes iraniennes de son enfance
Dans cette série les femmes ont les cheveux noirs épais, la bouche close et les lèvres recouvertes de rouge. Leurs expressions se veulent tour à tour sévères, tristes, blasées, fâchées, mélancoliques ou pensives. Les héroïnes de Marjane Satrapi s’inscrivent dans des scènes de la vie quotidienne : une cigarette ou un livre à la main, s’apprêtant à manger un fruit ou à boire un thé, en pleine conversation avec une mère, une sœur, une amie peut-être ? De l’histoire qui se trame, nous n’en saurons rien. Avec ses compositions sans titre, l’artiste ne donne aucun indice, nous laissant face à nos incertitudes. Si l’histoire de ces femmes reste inconnue, l’artiste puise son inspiration dans son environnement familier: “j’ai souvent peint ma grand-tante, moi-même, ma grand-mère, ses cousines, d’autres dont je n’ai que de vagues souvenirs“. L’artiste a crée des personnages à l’image des femmes qui l’ont entouré lors de ses années passées en Iran, de “celles qui m’ont faites“ confesse-t-elle.
fig.3, Sans Titre, 2012 Acrylique sur toile 140 x 140 cm, Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont
La prédiction
La passion de Marjane Satrapi pour la peinture n’est pas nouvelle. Elle est même la première. L’artiste raconte la relation privilégiée entretenue durant son enfance en Iran avec une grande-tante. Peintre, poète et divorcée de son mari avant même sa première de nuit de noces, cette femme libre et indépendante avait étudié la peinture en Suisse. Ce court séjour lui valut le surnom de “Ammeh Suisse“ (“Tante Suisse“ en persan). Préférant la compagnie de la vieille dame à celle des enfants, Marjane passait ses fins de semaines à écouter sa tante lui conter des histoires d’amour et de vengeance tout en dessinant et peignant sur tous les supports possibles, y compris les murs de la maison. Avant de mourir d’un cancer, la tante avait prévenu la petite artiste en herbe de six ans : “avec un front pareil, soit tu seras peintre, soit écrivain, soit les deux“.
A travers ses peintures chargées d’émotions et de mystères, Marjane Satrapi, artiste aux ressources inépuisables, semble rendre un vibrant hommage à sa bien-aimée “Ammeh Suisse“ qui avait prédit avec humour son brillant avenir.
Informations pratiques : Marjane Satrapi, Peintures ; Galerie Jérôme de Noirmont, 38 avenue Matignon, 75008 Paris. Jusqu’au 23 mars 2013.
Remerciement : Merci infiniment à Emmanuelle de Noirmont pour sa gentillesse et pour avoir autorisé la publication des photos sur artbruxelles.
Photo : Marjane Satrapi. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont.