Quatre millions de Français se trouvent dans cette situation d’urgence absolue, c’est-à-dire qu’ils consacrent au moins 10% de leurs revenus à se chauffer ou à s’éclairer… D’autres chiffres donnent le tournis. Les services du médiateur national de l’énergie ont en effet relevé, au cours de l’année 2012, pas moins de 580.000 coupures de gaz ou d’électricité, et 230.000 résiliations à l’initiative du fournisseur. Traduction: mille personnes supplémentaires chaque jour sont privées d’électricité ou de gaz!
Et la situation s’aggrave: 10% de la population était concernée par cette précarité énergétique en 2009 ; 15% en 2012 ; 18,7% depuis le début de l’année… Notons que ces chiffres seraient bien supérieurs sans l’action des Robins des bois de la CGT énergie et des agents d’ERDF, qui, malgré les risques encourus, s’emploient à rétablir le courant ou le gaz chez les plus nécessiteux. Ces résistants de l’ombre, veilleurs de conscience qui ne réclament ni médailles ni honneurs, savent, eux, que l’énergie devrait être considérée comme un produit de première nécessité, impliquant un service public de haut niveau. Être un citoyen parmi les citoyens implique l’accès à l’énergie, en tant que droit fondamental, individuel et social.
La voici, la vraie vie des Français ; pendant que la médiacratie est occupée à commenter autre chose… Entendons-nous bien. Nous ne nous réjouissons pas de la chute d’un homme – que justice passe pour Jérôme Cahuzac –, mais cela ne nous empêche pas de redire que nous n’avions pas la même conception de la gauche par temps de crise. Ainsi, l’ambiance délétère au sein du gouvernement ne doit pas nous faire oublier l’essentiel, par exemple que l’épouvantable situation économique réclame bien d’autres décisions pour faire refluer le fléau de l’atomisation sociale, dont la rage actuelle emporte tout sur son passage. Pour l’écrire autrement: il est plus urgent de sortir du dogme paralysant de la réduction des dépenses et de l’austérité ad vitam aeternam que de pleurer durant des jours et des jours sur le sort d’un homme, fût-il ancien ministre éminent… Car, pendant ce temps-là, s’acharne la réalité. La danse macabre des fauves de la finance se poursuit ; les dirigeants européens les accompagnent ; les Chypriotes se préparent au pire ; et Jean-François Copé, plus pathétique que jamais, a brandi sa mini-motion de censure, vulgaire gesticulation sans objet, sinon celle de montrer à son camp qu’il existe encore. De grâce, l’heure est grave et les Français souffrent. Ayons un peu le sens des priorités. En politique, l’amnésie n’a jamais été une amnistie. Qui osera dire un jour: nous ne savions pas?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 mars 2013.]