Frankenweenie

Par Kinopitheque12

Tim Burton, 2012 (États-Unis)

Avec deux boulons plantés dans le coup d’un Frankenweenie jadis enterré par Disney, ainsi qu’une énergie nouvelle dont la recharge a pu paraître un brin longuette (entre Sleepy hollow en 1999 et Sweeney Todd en 2008), Tim Burton transforme le court de ses débuts en un long animé tout à fait réjouissant. Dès l’origine du projet, Frankenweenie (1984) était prévu pour devenir un long métrage d’animation, ce qu’il ne fut pas à cause de différents avec Disney qui produisait. Autant dire donc que l’inventeur revient sur une œuvre laissée inachevée il y a trente ans et qu’il la parachève enfin.


Frankenweenie fourmille de références et, du faon tire-larmes au Kaiju à carapace, plus encore que le court métrage qui lui sert de modèle. Cependant Burton ne se cantonne pas à la résurrection de Price, Lee ou Sparky, à celle de La momie (1932), de Frankenstein (1931) ou de sa Fiancée (1935). Il entraîne son film ailleurs et sait aussi se démarquer de la version de 1984. Tout d’abord, malgré le scénario (des enfants plongés dans une aventure extraordinaire), Frankenweenie 2012 perd son « esprit spielbergien » 1. Difficile à caractériser, cet esprit n’est pas tant lié, comme nous le croyions, à l’émerveillement que le film est capable de provoquer (fascination et magie sont bien présentes, quand par exemple à deux reprises le chien reprend vie), mais peut-être davantage au regard même de l’enfant ; un regard évident dans la première version tournée en prise de vue réelle et que le dessin animé (malgré tout le talent des concepteurs) ne sait pas rendre. L’ambiance est par conséquent différente et si Frankenweenie 2012 perd cet esprit spielbergien, c’est pour mieux affirmer son essence burtonnienne.


Et pour retrouver l’esprit de Burton, inutile de recourir au spiritisme, la géographie suffit. L’étude de New-Holland montre en effet que la ville constitue un matras idéal pour le bouillonnement créatif du maître que la normalité, la tranquillité et l’ordre de la bourgade ont fini par provoquer 2. Comme dans les films de sa première période (Frankenweenie, Beetlejuices, Edward aux mains d’argent), la ville est bâtie sur le modèle de Burbank où Burton a grandi. Organisée autour de deux grands axes (San Fernando Road et l’autoroute Golden State), Burbank développe ses quartiers pavillonnaires jusqu’aux pieds des monts Verdugo et Santa Monica qui la coincent dans la vallée. Parfaite illustration de l’urban sprawl américain, la municipalité confond ses routes avec celles de Los Angeles qui l’absorbe ainsi que de Glendale qui lui ressemble (Burbank, Glendale et d’autres intègrent ce que l’on appelle The Greater Los Angeles Area). Comme son modèle, New-Holland entretient l’artificialité des villes périphériques en pleine croissance 3. Elles sont le nouvel Eden des classes moyennes autant que le filon des promoteurs immobiliers. New-Holland, par les douces courbes de ses rues, ses blanches palissades et ses carrés de pelouses, est donc bien familière à Burton. Elle n’a pourtant pas pour seul caractère ce réalisme pavillonnaire américain.

Peut-être parce qu’il cherche aussi à évoquer l’héritage culturel et historique des États-Unis, Tim Burton attribue à sa ville une certaine identité européenne. Le panneau fixé lettre par lettre sur une colline bien en évidence replace certes New-Holland dans son contexte hollywoodien (nous sommes bien dans une équivalence territoriale de Los Angeles ou de ses environs), mais plusieurs autres éléments en dehors du nom entretiennent une correspondance étrange en pareil lieu avec les Pays-Bas. Ce sont les tulipes et les roses hollandaises dans les jardins, le voisin, Monsieur Burgemeister, qui porte le nom de sa fonction, ou encore cette journée un peu particulière de festivités pour lesquelles tout le monde s’affole, « The dutsch day ». C’est surtout le moulin à vent qui remplace en bout de ville sur la colline le manoir d’Edward ou la vieille demeure des Maitland. Le moulin fait référence au Frankenstein de Whale et toute la célèbre scène de l’incendie y est reproduite. Il est d’ailleurs avec le cimetière et le grenier-laboratoire un des trois pôles fantastiques du film 4. Toutefois, ce n’est que dans les dernières scènes, filmé en contre-plongée et bientôt transformé en un gigantesque brasier, qu’il apparaît vraiment inquiétant et lugubre. Avant cela, dans les plans larges de la ville, l’édifice était seulement décoratif, en arrière-plan, loin et inoffensif, un cliché proche d’une installation de rond-point (et avec lequel Burton s’amuse ; le moulin n’était qu’un élément de parcours de mini-golf dans le premier Frankenweenie). La référence initiale a donc gagné en complexité puisque le moulin est également devenu un symbole identitaire (jusque sur les portières de voiture de police de la ville), celui d’une communauté se revendiquant une filiation néerlandaise 5.


Alors pourquoi cette double appartenance ? Pourquoi New-Holland relève-t-elle à la fois de la banlieue américaine modèle et de la carte-postale hollandaise ? Pourquoi est-elle à la fois si familière et tout à fait étrangère au petit Victor ? Il s’agit pour Burton d’évoquer la situation de Victor, marginalisé chez lui, en un lieu qui ne devrait être pour un enfant que confort et source d’épanouissement 6. Cependant, Victor n’est pas isolé ou marginalisé des autres enfants. C’est bien de la ville qu’il l’est et il n’est pas le seul. A New-Holland, ce sont tous les enfants qui sont marginalisés du reste de la communauté. Ne sont-ils en effet pas tous des Frankenstein en puissance ? De même, Elsa Van Helsing, la nièce du Burgmeister qui est loin d’être convaincue par ce qu’elle chante durant le Dutsch day en l’honneur de New-Holland. Pourtant, la communauté finit aussi conquise par l’anomalie, l’étrangeté, voire contaminer par l’attitude déviante puisque c’est elle qui, réunie autour de Victor, rescussite une dernière fois Sparky 7. Quelques critiques, les éternels insatisfaits, ont trouvé le film malhabile, répétitif, incomplet ou malade. Une œuvre imparfaite malgré tous les efforts de l’inventeur ? Inachevée en dépit de la bonne volonté de son créateur ? Une créature toute burtonienne donc et alors d’autant plus attachante.



1 L’esprit auquel je fais allusion est typique chez Spielberg dans ses films liés à l’enfance ainsi que dans certaines réalisations de ses proches comme Joe Dante ou Richard Donner. En outre, est-ce un totalement un hasard si Spielberg et Burton se croisent autour d’un même projet, Big fish que le premier abandonne et que le second en 2003 réalise ?

2 Nous avons évoqué ailleurs la normalité des villes et le surgissement du monstre qu’elle entraîne : Sprawl vampirique et banlieue pavillonnaire.

3 Le thème de l’artificialité est abordé et largement développé dans Edward aux mains d’argent. L’un des personnages principaux est une vendeuse en cosmétique et fait des masques de beauté. Lorsqu’elle tente d’appliquer ses onguents sur le visage d’Edward pour effacer ses cicatrices et lui redonner un peu de couleur, rien ne va, comme si Edward, être pur et sincère, ne pouvait porter de masque et se dissimuler derrière une personnalité de façade. Ailleurs, le paraître règne dans ce quartier où tous sont espiègles et où chacun s’espionne et se jalouse.

4 « J’ai entendu dire que c’était un cimetière où ils enterraient les mineurs. – C’est la faute du moulin à vent. Il tourne et retourne l’air, et le ciel enrage contre la nuit. »

5 Dans Frankenweenie, il est précisé que New-Holland est construite sur une mine d’or abandonnée. Or Whales ne situait plus son Frankenstein dans la ville d’Ingolstadt en Bavière (où, dans le roman, Mary Shelley ramenait le monstre à la vie) mais, par altération, à « Goldstadt », c’est-à-dire « la ville de l’or ». La mine d’or chez Burton serait alors une réminiscence du nom de la ville et de son étymologie.

6 Dans les films de Tim Burton, contre toute apparence (surtout !), le monstre n’est pas le marginal mais bien ceux, individus ou communauté, vis-vis de qui il peut l’être.

7 On notera l’absence d’église à New-Holland et, me semble-t-il, contrairement au roman de Shelley, l’exclusion de toute question liée à la religion.

DVD et Blu-ray sortis le 1er mars 2013 et distribué par Disney. D’autres films à découvrir sur Cinetrafic dans les catégories bande annonce et meilleur film.