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L'État français n'est pas en faillite, sauf si on réfléchit

Publié le 21 mars 2013 par Copeau @Contrepoints

Pour Bruno Moschetto, l’État français n'est pas en faillite. Non, techniquement nous ne le sommes pas, et nous pouvons toujours prélever assez d'impôts pour faire face aux dépenses. Quoi que...

Par Baptiste Créteur.

L'État français n'est pas en faillite, sauf si on réfléchit

Bruno Moschetto est un professeur d'économie à HEC et Paris I dont aucune de ces deux institutions ne parle sur son site Internet. On comprend qu'il soit important, pour un établissement d'enseignement supérieur, de préserver sa crédibilité ; après avoir appelé de ses vœux une internationale inflationniste, le sympathique Bruno affirme que la France n'est pas en faillite et ne peut pas l'être.

Non : la France n'est pas en faillite... Le prétendre est en fait une contrevérité économique et financière. La France n'est pas et ne sera pas en faillite, car pour entrer dans ce cas de figure il faut être en état de cessation de paiement. Et un État ne peut l'être, dans sa propre monnaie, vis-à-vis des non résidents et vis-à-vis de ses résidents puisque ces derniers seraient invités à répondre de sa dette par une majoration immédiate de ses ressources fiscales.

Les deux arguments contre la faillite ont été annoncés d'emblée : un État ne peut pas être en cessation de paiement dans sa propre monnaie car il peut en imprimer à foison et spolier ses citoyens de ce dont il a besoin pour boucler les fins de mois difficiles.

Les résidents d'un pays, par exemple les Français, pourraient donc être invités à répondre de la dette de l’État français par une augmentation des prélèvements. D'autres pistes tout aussi attrayantes peuvent être envisagées ; les Français pourraient être invités à faire l'acquisition de Bons du Trésor.

En effet, à l'abstraction qu'est le concept d’État correspond la réalité que sont les citoyens. Ce sont eux qui sont les garants des engagements de l’État. En dernière analyse : " l’État c'est nous ". Pour être en état de cessation de paiement vis-à-vis des non résidents, il faudrait qu'un État soit endetté dans des monnaies qui, ne soient pas la sienne et ne puisse faire face avec ses avoirs disponibles en devises aux exigibilités en devises.

Les citoyens sont les garants des engagements de l’État – les Chypriotes ont pu en faire l'expérience et les Belges le pourraient à leur tour. Pour autant, l’État, ce n'est pas les citoyens. L’État est une institution censée garantir le respect de leurs droits naturels et imprescriptibles, avec le succès qu'on lui connait jusqu'à présent ; mais l'assimilation du premier aux seconds est une contrevérité conceptuelle et factuelle. Il en va de même de l'assimilation de la richesse des citoyens aux "avoirs disponibles" de l’État, même s'il semblerait que ce soit la conception qu'en ont bien souvent les hommes politiques.

La France ne risque pas de passer devant le Club de Paris, que préside notre Ministre de l'économie et des finances par son directeur du Trésor interposé puisqu'elle produit plus qu'elle ne consomme et développe ainsi une capacité de financement nécessairement placée ou prêtée à l'extérieur.

Si la France, compte tenu de son taux d'endettement, à savoir le ratio de sa dette sur le produit intérieur brut (PIB), dénoncé comme élevé signifie qu'elle serait dans une phase préalable de la faillite dite "période suspecte". Ses partenaires européens le seraient aussi.

La France produit plus qu'elle ne consomme si on accepte certains raccourcis comptables qui majorent le PIB et minorent le ratio dette/PIB. La France est en réalité dans une période plus que suspecte, incapable de maîtriser ses dépenses et de générer des recettes fiscales malgré l'augmentation des taux – l'objectif de 3% de déficit pour 2013 ne sera pas tenu, pas plus qu'il ne le sera pour 2014. Mais le "professeur" Moschetto a sans doute une excellente recette pour balayer cette dette d'un revers de la main.

En effet, le rapport de la dette (un stock) par rapport à la production (des flux) s'élève pour ce qui nous concerne à un peu plus de 85%, alors que l'Allemagne se situe à un peu moins de 85% et que la moyenne pour les pays membres de la zone gravite autour de ce chiffre de 85% contre 70% il y a cinq ans. Rappelons à cet égard que celui des États-Unis se situe au dessus de 100% et celui du Japon est supérieur à 200% !

Le PIB des pays cités est sans doute moins surévalué que le PIB français, puisque le ratio dépense publique/PIB est plus élevé en France qu'ailleurs. Et la dette française croît, ce qui n'est pas tout à fait le cas partout. Il n'y a pas grand chose de rassurant dans le fait que les États d'autres pays prennent des risques comparables à ceux que prend l’État français, si ce n'est le réconfort de savoir que la crise que nous subirons les affectera également.

Cette montée généralisée de la dette des États européens correspond à l'adoption par eux du dogme de la monnaie forte depuis un quart de siècle. Mais ce dogme coûte cher aux États puisque leur dette n'est plus effacée par une "main invisible" dénommée érosion monétaire ou inflation, c'est-à-dire un impôt sur la monnaie selon la lumineuse formule d'Alfred Sauvy.

La main invisible, c'est l'idée que les actions guidées par l'intérêt individuel de chacun contribuent à la richesse et au bien-être de tous. L'inflation, c'est l'intérêt individuel de quelques-uns qui contribuent à détruire la richesse et le bien-être de tous, soit à peu près l'inverse.

Le dogme de la monnaie forte, ou plutôt celui de l'inflation maîtrisée, coûte cher aux États si on considère – comme c'est désormais l'usage chez les économistes d'opérette – qu'une inflation faible est un manque à gagner. Laissons Bruno nous rappeler pourquoi.

N'oublions pas qu'en 1981 avec Valéry Giscard d'Estaing à l’Élysée et Raymond Barre à Matignon, le taux d'inflation se situait à 15% l'an. D'où un effacement de 15% sur un stock de dettes équivalent à 200 milliards d'euros et permettrait de développer un déficit de 30 milliards d'euros sans incidence aucune sur le niveau de ladite dette .

La belle époque, où l'inflation galopante rognait le patrimoine des Français en même temps que la dette pour le plus grand bénéfice d'hommes politiques irresponsables...

Ce prélèvement obligatoire que constitue l'inflation n'est plus véritablement au rendez-vous depuis 1985 et – élément fondamental – n'a été remplacé par aucun autre puisque le taux des prélèvements obligatoires n'a pratiquement pas varié depuis un quart de siècle puis qu'il gravite toujours autour de 45% de la production intérieure brute.

Le taux des prélèvements obligatoires a bel et bien varié, l'endettement aussi. Mais pour défendre l'inflation et l'endettement public tout en se prétendant économiste, il ne faut pas avoir peur de faire preuve d'un peu de malhonnêteté intellectuelle.

L'honnêteté intellectuelle voudrait, elle, qu'on annonce d'ores et déjà aux Français la situation difficile qu'ils vont traverser après quarante ans de budgets votés en déficit par des hommes politiques apparemment moins sensibles à l'intérêt à long terme des Français qu'à l'intérêt à court terme de leur carrière. Baisser la dépense publique est la priorité absolue pour la Cour des Comptes comme pour les économistes sérieux.

Et, techniquement, la France peut faire faillite. N'ayant pas – heureusement – le contrôle de la planche à billets, elle ne peut pas générer une inflation lui permettant de détruire la richesse des citoyens en même temps qu'elle réduirait le poids de la dette. Elle n'a donc d'autre choix, si elle veut recourir à l'inflation, que de quitter la monnaie unique, ce qui la placerait dans le cas du Mexique il y a quelques années.

C'est le cas de ceux qui vivent au-dessus de leur moyens c'est-à-dire ceux qui consomment plus qu'ils ne produisent et par là dégagent un besoin de financement qui ne peut être comblé que par une épargne extérieure : ceux des pays qui vivent au dessous de leurs moyens c'est-à-dire ceux qui produisent plus qu'ils ne consomment et par là dégagent une capacité de financement. Ce qui était le cas du Mexique et des ses pareils au milieu des années 1980.

Ils étaient endettés dans une monnaie qui n'était pas la leur : le dollar. Monnaie qu'ils ne pouvaient normalement obtenir que par un accroissement de leurs exportations alors que le prix des hydrocarbures étaient en chute libre d'une part et que, d'autre part, les taux des dettes libellées en dollars avaient doublé du fait de la politique anti inflationniste de Paul Volker.

Elle serait donc endettée dans une monnaie autre que la sienne auprès de pays plus rigoureux qu'elle en matière d'inflation. Une configuration à éviter, même pour le pipoconomiste Moschetto.

Condamné à rester dans un euro de plus en plus fragile, l’État français doit donc, pour équilibrer dépenses et recettes, augmenter les prélèvements – avec les effets délétères qu'on sait et qu'on peut constater aujourd'hui sous la forme d'une croissance atone et d'un chômage de masse – ou baisser les dépenses, seule voie réaliste pour éviter la faillite.

Mais le manque de courage politique bientôt proverbial des Français rend la chose difficile ; les Français doivent, s'ils veulent avoir une chance d'éviter la faillite de l’État, prendre les choses en main, faire en sorte que l’État réduire son périmètre et laisse enfin l'économie prospérer dans le respect de leurs droits naturels et imprescriptibles – que l’État est, en théorie, censé garantir.


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