Et de me souvenir de cette enfant dont le chemin ne croisera assurément plus le mien. De cette fillette pauvre, à la chevelure sacrifiée, à la beauté sauvage dont elle n’avait nulle conscience, qui se jouait des vagues, semblait se jouer de la vie, dont je m’interrogeais à quoi elle allait bien pouvoir ressembler.
Parce qu’il est des pays où naître fille est une malédiction, parce qu’aujourd’hui en Inde, on les tue à la naissance. Parce que la naissance est un long apprentissage à la survie. Fiancée dès l’enfance, dans sa caste loin de sa famille, elle sera livrée à une autre, qu’elle devra servir. Et ne nourrir aucun espoir aucune espérance, suivre une route toute tracée, sans trop croiser de regards masculins.
Dans ce pays j’ai appris à à couvrir mes épaules, ne pas sourire aux hommes, à répondre par le mépris à leur agressivité, pratiquer l’art de l’esquive. J’ai appris les codes, à respecté les traditions. On m’a parlé de viols, et je les ai crus. Je les ai crus bien avant que l’on en parle dans nos quotidiens.
Et puis j’ai parlé à des femmes qui ne connaissaient pas le sens du mot bonheur. Elles m’ont parlé de leurs vies, se sont enquis de la mienne. Elles ne m’ont pas cru, ont cru que je plaisantais. Je parlais de divorce et de renouveau, elles m’ont parlé de coups et d’alcool, d’hommes qui sombrent, d’enfants à nourrir. Et puis elles ont ri. Comme une ultime élégance. Parce qu’il le fallait bien, parce que c’est ainsi. C’est ainsi, m’ont-elles dit, et je les ai crues.
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