La chasse au Cahuzac commence

Publié le 21 mars 2013 par H16

Ce qui devait arriver arriva : Cahuzac mis en examen se voit débarqué du gouvernement. La République irréprochable pleine de ministres repris de justice n’aura même pas duré un an. Lui Président doit maintenant ajouter une crise politique majeure à sa cote de popularité catastrophique et la perte presque totale de sa crédibilité.

Il est difficile de ne pas sourire aux mésaventures de Cahuzac, et impossible de ne pas faire un parallèle entre ses déboires et celui d’un autre ministre, dans un précédent gouvernement, dont l’awoerthement aura duré de longs et pénibles mois.

Il est difficile, en effet, de ne pas se rappeler les rodomontades du même Cahuzac lorsqu’il s’adressait à l’opposition, reprochant aux uns et aux autres une probité douteuse, et mettant en avant la nécessité d’une immaculée conception du droit fiscal, avec de vrais morceaux de lutte contre la fraude dedans, et des petits bouts de mépris pour cette évasion fiscale (jugée « dérisoire » concernant Depardieu) dont tout indique qu’il a pourtant usé lorsqu’il n’était pas encore sous les feux de l’actualité.

De la même façon, il est impossible de ne pas faire le rapprochement de ce piteux ministre, forcé de s’en aller après quelques mois au poste redoutable de Ministre du Budget, et de l’un de ses prédécesseur, Éric Woerth, qui est passé par les mêmes routes rocailleuses : l’un comme l’autre n’ont pas su trouver les faveurs de Médiapart. L’un comme l’autre ont nié de toutes leurs forces les allégations de l’impure-player. Tous les deux ont d’ailleurs hurlé à la diffamation, et ont tenté le procès. Tous les deux se connaissent. Éric était plus que probablement au courant du ou des comptes helvétiques rigolos de Jérôme. Et ce dernier n’a pas manqué de lui assurer son soutien discret mais ferme dans l’affaire de l’hippodrome de Compiègne, pour laquelle un rapport de ses service a été rendu et qui est rempli de bisous gentils pour Éric. Et on se souvient qu’en Juin 2010, notre aimable Jérôme, alors président PS de la commission des finances de l’Assemblée, expliquait, détendu de la connivence : « Il n’y a pas d’affaire Woerth, il y a un problème de cumul des fonctions », qu’accompagnèrent ensuite (pour compenser cet excès de magnanimité ?) un petit tacle sur les mouvements de fonds suspects : « Il me semble que des mouvements en espèces de 50 000 euros chaque semaine, si une banque ne signale pas ça à Tracfin, je me demande ce qu’elle est bien censée signaler. »

On ne peut s’empêcher de trouver tout cela fort commode : ces petits renvois d’ascenseur, éventuellement par voie de presse, ressemblent à s’y méprendre à des échanges de bons procédés entre parrains du milieu où chacun sait tant de choses sur l’autre, le fait discrètement savoir, et a bien compris qu’il ne sert à rien de se tirer dans les pattes tant que le troupeau (de moutontribuables) est bien gardé.

D’autre part, il semble difficile d’imaginer que le gouvernement n’était pas au courant de ce qui allait se passer. Même si cette démission semble prendre les uns et les autres par surprise, il ne faut pas oublier que le gouvernement détient en effet depuis février la réponse des autorités helvétiques sur la possession (ou non) d’un compte par Cahuzac. Nos aimables ministres, Ayrault en tête, étaient donc bel et bien informés de la situation réelle, mais ont laissé le gars Jérôme patauger un mois de plus. À scandale, scandale et demi…

Et puis, on notera que l’ex-ministre est accusé de blanchiment de fraude fiscale, et pas de fraude fiscale directement : eh oui, pour des raisons techniques, Bercy ne pouvait directement ouvrir de procédure sur son propre ministre : il est difficile pour les fonctionnaires qui travaillent aux impôts de réunir des dossiers contre leur ministre (version officielle) ou (version officieuse) disons qu’il est difficile pour ceux qui veulent choper du ministre de procéder avec la même légèreté et la même finesse que pour un contribuable lambda qui, pour le coup, ne bénéficiera pas des mêmes facilités…

Au delà de ces éléments factuels intéressants, on peut tout de même tirer quelques enseignements de ces mésaventures finalement presque banales dans une République en déliquescence qu’un Lui Président n’aura rendu qu’un peu plus pathétique.

Par exemple, on peut se dire qu’un ministre qui a ouvert un ou des comptes dans un « paradis » fiscal qui ne vole pas dans la poche de ceux qui y déposent leur argent, c’est plutôt faire preuve de bon sens : Cahuzac, de ce point de vue, montre au moins qu’il a bien compris comment gérer un budget, le seul souci étant que cette compréhension semble se borner au sien propre.

Un autre enseignement est qu’il faudrait être le dernier des naïfs pour imaginer que ce qui arrive à Cahuzac ne pourrait arriver aux autres ministres qui, pour l’énorme majorité d’entre eux, ne sont arrivés à leur poste que grâce à des « qualités » politiques spécifiques plus proches de la psychopathie que de la compétence aux postes qu’ils occupent. Ainsi, il n’est guère difficile d’imaginer que si les plus jeunes d’entre eux (les rares trentenaires et les fringants quadras) n’ont pas de comptes en Suisse ou de fortune personnelle élevée, c’est purement pour une raison de temps : donnez-leur dix ans de plus, et les cahuzaqueries seront en place, vivaces. Hollande, à ce tarif, n’échappe en rien à la règle, lui qui a si soigneusement raboté son patrimoine pour paraître bien moins bourgeois qu’il ne l’est en réalité.

Et ce qui est évident pour celui qui se donne la peine de regarder, c’est que les affaires s’enchaînent tant à droite qu’à gauche, tant dans les partis dits « parlementaires » que pour les autres. On m’objectera que le « tous pourri » fait passablement poujadiste, ce à quoi je noterai que si Poujade exagérait certainement à son époque, le vrai défi, de nos jours, est bien de trouver un parti dans lequel les leaders n’ont pas déjà un casier, ne sont pas mouillés de près ou de loin dans des marchés publics truqués, des emplois fictifs, des détournements de fonds publics, des évasions fiscales, des fraudes ou des blanchiments plus ou moins rocambolesques. Si l’on y ajoute les connivences avec les patrons de certaines grandes entreprises plus que souvent issus des mêmes sérails et des mêmes formations (merci l’ENA, le service rendu à la Nation nous fait tous vibrer… le portefeuille), on comprend qu’il va devenir extrêmement compliqué de trouver un politicien intègre. Et s’ils ne sont pas tous pourris, ils sont tous particulièrement heureux de toucher à la bien trop généreuse gamelle parlementaire, ministérielle ou sénatoriale dont les montants, en ces temps de crises, sont un parfait scandale. Tous profitent donc sans la moindre vergogne d’une République à bout de souffle comme des parasites prêts à tuer leur hôte plutôt qu’à tenter la symbiose.

À ce titre, les pathétiques guignolades de l’UMP dans le cours de cette affaire permettent de jauger à leur juste valeur les clowns et les bouffons qui forment ce parti : pas un, en face de Cahuzac, ne peut prétendre à une probité même moyenne qui lui permettrait de jeter la proverbiale première pierre. Le spectacle offert par ces brochettes d’aigrefins n’est plus guère que distrayant, son seul but finalement alors que la France continue de s’enfoncer dans une situation économique catastrophique, et que la zone euro traverse actuellement une tempête monétaire et institutionnelle majeure.

Finalement, dans cette pièce déjà trop jouée, l’évidente conclusion qui saute aux yeux est que Cahuzac n’est pas plus coupable mais pas plus innocent que Woerth.