Magazine Culture
D'un côté, des livres partout, des auteurs qui signent et qui débattent, des chiffres d'affaires, la grande question de l'édition numérique face au papier, des négociations de droits en fonction de l'évolution du métier d'éditeur et de tout ce qui en découle, du monde dans les allées, du monde, du monde...
De l'autre côté, un quotidien qui prend aujourd'hui une allure différente, les journalistes de la rédaction ayant laissé la place à une bande d'écrivains pour décrire, décrypter, raconter l'actualité. On ne la choisit pas, elle vous tombe dessus de manière imprévisible et il faut donc bien ouvrir, au grand regret de Virginie Despentes, rédactrice en chef d'un jour, sur un événement auquel elle ne comprend rien. Son éditorial est plein de questions, elle avance ses incertitudes alors que la race des éditocrates a coutume de nous imposer ses certitudes. Et ça fait du bien.
Comme cela fait du bien de lire Jérôme Ferrari à propos d'Abou Dhabi, Mathieu Larnaudie sur Copé et, à la page suivante, sur Sarkozy ("Aujourd'hui, on va faire un numéro de gauche, pour une fois", avaient rigolé les écrivains en réunion de rédaction). Thierry Beinstingel visite le village où Marine Le Pen avait obtenu 72% des voix au premier tour de la dernière présidentielle (bon, cela ne faisait que 31 électrices et électeurs, mais quand même). Ingrid Astier est au tribunal où se juge l'affaire qui oppose Valérie Trierweiler à ses biographes. Lola Lafon s'interroge sur le recul ou pas le recul de la laïcité à l'occasion de l'annulation par la justice du licenciement d'une employée voilée dans une crèche. Frédéric Roux prend le tram à Paris.
Je n'en suis qu'à la page 15. Contrairement aux autres jours, j'ai envie de tout lire. J'ai presque oublié de dire (mais vous l'avez vu) qu'il y avait deux femmes en couverture, et ce n'est pas pour évoquer un scandale: Virginie Despentes et Angela Davis, Deux femmes puissantes. Une Blanche, une Noire.
A propos, un petit regret quand même: "On a besoin d'un écrivain africain", explique Cécile Guilbert, pour éclairer la mort probable d'un otage au Mali. Je comprends l'idée de base, et c'est mieux, finalement, que de donner encore la parole à un spécialiste européen. Mais il n'y aura de véritable progrès qu'au moment où on pensera à un écrivain africain (ou d'ailleurs, sans envisager ses origines) pour écrire à propos d'un événement qui n'a rien d'africain, et qu'il est tout aussi capable qu'un Français de faire sien.
Numéro excitant en diable, donc. Je me disais: comme ce serait bien d'avoir ça tous les jours! Avant de me reprendre: et quand écriraient-ils leurs livres (c'est-à-dire: quand nous donneraient-ils la meilleure part d'eux-mêmes) s'ils étaient tous les jours le nez collé sur l'actualité et les yeux sur l'horaire de bouclage, ces écrivains?