Evidemment il n’y a personne dans la salle. Non seulement nous sommes en plein milieu d’une après-midi de semaine, mais de plus, qui aurait idée d’aller au cinéma par cette belle journée pour y voir un tel nanar. Car il ne peut s’agir que d’un navet, le titre est explicite, d’ailleurs il est tellement nul que je ne m’en souviens déjà plus. Et je n’ai pas encore vu le film, ça promet !
D’un autre côté, car il faut être positif, je suis bien installée, j’ai la place pour étendre mes jambes et elles en avaient bien besoin après cette longue marche, ma valise à bout de bras et ces talons qui me cassent les chevilles. On ne m’y reprendra plus. Un hôtel à perpète les oies, pas de métro proche, tu m’étonnes, vu la zone où il est planté. Quelle idée saugrenue d’être venue ici pour le week-end. Quel salaud, oui !
« Tu verras c’est tranquille, on ne risque pas de rencontrer des connaissances ». Je m’en doute mais il est un peu tard. Pour une fois qu’on pouvait se voir un week-end, tout est gâché. « Je te rejoins vendredi dans la soirée, installe-toi confortablement en m’attendant. » Pour l’attendre, je l’ai attendu, mais pour le confort, bernique ! Moi j’appelle pas ça un hôtel, c’est une cabane pour lapins de passage. Une chambre minable, limite dégueulasse avec une douche sans rideau et une fenêtre sale donnant sur le parking vide d’une zone commerciale désaffectée. Le réceptionniste, unique personnel de cette turne est à moitié débile quant à l’autre moitié j’aime mieux pas savoir. Maman, si tu voyais ta fille.
Dieu merci, elle ne peut plus rien voir désormais, en tout cas je l’espère. Quelle pauvre pomme je fais, j’aurais dû filer immédiatement. Mais non, je lui ai fait confiance comme toujours. Alors samedi matin quand j’ai reçu son sms m’annonçant qu’il ne pouvait pas venir, sa femme ayant différé son voyage pour voir ses parents, j’ai cru exploser de rage. Salaud, salaud, triple salaud !
Un café infâme dans un gobelet plastique au distributeur automatique de l’hôtel et je suis partie. J’étais d’une humeur massacrante car ce n’est pas la nuit qui m’avait calmée, un matelas défoncé qui puait le moisi et une canalisation d’eau bringuebalante, je n’ai pour ainsi dire pas dormi. Direction la gare, le voyage aller en taxi m’avait semblé rapide, le retour à pied est exténuant. Comble de malchance, j’ai loupé le train et le prochain n’est qu’en début de soirée. Mon dieu, faite que ce soit ma dernière épreuve.
C’est pourquoi je suis dans ce cinéma à cette heure. Je rumine mon désespoir, indifférente au programme à venir. Je dois rester zen, inspiration, expiration, lentement… La salle commence à se remplir, si on peut dire, et il est beau le public, un petit vieux venu pour dormir dans son fauteuil, un autre type avec des lunettes sombres lui donnant un air pervers et moi, pauvre cloche esseulée. Belle recette pour la caissière. Tiens, ça me fait rire, un peu mais c’est déjà ça.
Bon, elle commence à quelle heure la séance ? J’ai un train à prendre, moi.
Edward Hopper Intermission (1963) – Huile sur toile 101,6 x 152,4 cm