Bien que les récents pourparlers nucléaires avec l’Iran se soient terminés sur une légère note de progrès apparents, et bien que les deux parties aient convenu de se rencontrer pour de nouvelles négociations techniques ce mois-ci, puis pour des négociations au niveau politique le mois prochain, les Etats-Unis maintiennent leur hostilité dans leur rapport avec l’Iran, avec une hypocrisie à peine contenue.
La gamme actuelle de méga mensonges comporte trois aspects : l’Iran en tant que menace terroriste, l’Iran en tant que menace nucléaire, et la nécessité de surveiller l’Iran.
À la fin de 2012, un curieux projet de loi, passé presqu’inaperçu, est entré en vigueur en Amérique. Le projet de loi atteste la présence terroriste iranienne en Amérique latine. Il donne le feu vert au Département d’Etat pour élaborer une stratégie pour contrer la menace de « la progression de la présence et de l’activité hostiles de l’Iran dans l’hémisphère occidental ». Il affirme que la Force Qods de la Garde révolutionnaire iranienne a renforcé sa présence en Amérique latine et que désormais « le gouvernement iranien apporte un soutien direct aux activités du Hezbollah » en Amérique du Sud.
Le projet de loi a été adopté par les deux chambres et a été entériné par Obama le 28 Décembre.
Selon Alex Main du Center for Economic and Policy Research, le gouvernement américain n’a fourni aucune preuve de ces allégations. Malgré ce manque de preuves, la présence terroriste de l’Iran dans notre hémisphère est maintenant officielle. Lors de la récente conférence de l’AIPAC, le vice-président Joe Biden s’est fait l’écho de ces affirmations. L’Iran, dit-il, est en train « d’utiliser des agents terroristes pour répandre la violence dans la région et au-delà. . . . Pendant trop longtemps, le Hezbollah s’est attaqué à des innocents de l’Europe de l’Est à l’Afrique Orientale ; de l’Asie du Sud-Est à l’Amérique du Sud. Nous savons ce que Israël sait: le Hezbollah est une organisation terroriste « .
Les accusations américaines selon lesquels l’Iran utilise le Hezbollah comme agent terroriste en Amérique latine ne sont pas nouvelles. Dans les années 1990, l’Amérique a rejeté sur l’Iran la responsabilité des attaques contre l’ambassade d’Israël et un centre communautaire juif en Argentine. A l’époque, tout comme aujourd’hui, la thèse était que le Hezbollah était responsable des attentats à la bombe et que l’Iran était responsable du Hezbollah. Mais d’après le politologue Stephen Zune, « malgré les longues enquêtes menées depuis par les fonctionnaires argentins, y compris le témoignage de centaines de témoins oculaires et deux longs procès, aucune preuve convaincante n’a montré que le Hezbollah était impliqué ». Quant à l’Iran, William Brenick, qui était chef de la section politique de l’ambassade américaine à Buenos Aires et le contact principal de l’ambassade dans l’enquête de l’attentat, a déclaré à Gareth Porter (NDT :historien, journaliste d’investigation et analyste politique) que la thèse américaine selon laquelle l’Iran était derrière l’attaque était basée sur un « mur de suppositions ».
Mais le plus choquant, encore plus que le fait que la nouvelle loi soit sans fondements, c’est le méga mensonge qui l’entoure. Le méga mensonge prend ici deux formes. Tout d’abord, c’est l’Amérique, et non l’Iran, qui est engagée dans le terrorisme contre les autres. L’administration Obama a admis sa responsabilité directe dans une série de cyber-attaques contre l’Iran. La plus connue c’est avec le désormais célèbre Stuxnet, le virus informatique qui a infecté les centrifugeuses des centrales nucléaires iraniennes, les faisant tourner de manière complètement incontrôlable, tout en relisant des bandes précédemment enregistrées d’opérations normales, de manière à déjouer la surveillance des opérateurs, pendant que les centrifugeuses étaient littéralement en train d’exploser. Et il s’avère que Stuxnet n’était que le début. Le New York Times a révélé que M. Obama a ordonné des attaques sophistiquées sur les ordinateurs qui gèrent les installations iraniennes d’enrichissement d’uranium. Cette fois c’est un virus beaucoup plus virulent que Stuxnet, connu sous le nom de Flame, qui a été utilisé. Ce virus dresse la carte des ordinateurs iraniens, en prend le contrôle et renvoie les renseignements, qui seront ensuite utilisés pour préparer des campagnes de cyber-guerres comme celle entreprise par Stuxnet. Les fonctionnaires de Washington ont maintenant confirmé que Flame fait partie d’un projet conjoint impliquant la CIA, la NSA américaine et l’unité militaire secrète 8200 d’Israël.
L’Amérique a été impliquée non seulement dans le cyber-terrorisme contre l’Iran, mais aussi dans des assassinats. Depuis le début de 2010, il y a eu au moins trois assassinats et une tentative d’assassinat de scientifiques nucléaires iraniens. Deux hauts responsables de l’administration Obama ont révélé à NBC que les assassinats ont été perpétrés par les Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI), ou MEK (NDT : Mujaheddin-e-Khalq). Ils confirment également que, si l’OMPI est en mesure d’effectuer ces attaques sophistiquées, c’est parce qu’il est financé, armé et entraîné par le Mossad israélien et que l’administration Obama est parfaitement au courant de ces assassinats.
Mais il y a un méga mensonge encore plus éhonté. Les Etats-Unis accusent l’Iran de terrorisme en Amérique latine. En quoi cette accusation est-elle un méga mensonge ? Il suffit juste d’aller chercher dans la mémoire vivante de pratiquement tous les pays d’Amérique latine. Demandez aux Guatémaltèques de vous parler du coup d’Etat qui a sorti Jacobo Arbenz. Ou aux Brésiliens de celui qui a écarté Goulart du pouvoir. Questionnez les Guyanais à propos de Cheddi Jagan, ou les Cubains au sujet des tentatives d’assassinat menées contre Fidel Castro. Renseignez-vous auprès des Chiliens au sujet Salvador Allende, ou auprès des Panaméens à propos de Manuel Noriega. Demandez aux Vénézuéliens en deuil de vous parler de la tentative de coup d’Etat de 2002 contre Hugo Chavez. Plus récemment, écoutez les peuples du Honduras, de Haïti et du Paraguay. Demandez à la plupart de ces gens de vous parler aussi des escadrons de la mort et des régimes de la terreur qui ont suivi les coups d’état américains.
Donc, le premier aspect du méga mensonge est l’accusation, sans preuve, que l’Iran est engagé dans des activités terroristes dans notre région, en Amérique latine, quand c’est nous qui sommes engagés dans des activités terroristes à la fois dans leur région et en Amérique latine.
Le méga mensonge ne se limite pas à l’Iran présenté comme menace terroriste, mais continue avec une nouvelle gamme de méga mensonge consistant à considérer l’Iran comme une menace nucléaire. La direction de la CIA est passée dans les mains de John Brennan, récemment confirmé à ce poste. Dans le cadre de son audition devant le Comité du renseignement du Sénat, Brennan a déclaré que le régime « à Téhéran reste décidé à se doter de l’arme nucléaire. . . ».
En faisant cette affirmation, le mensonge de Brennan est beaucoup plus flagrant et cynique que celui de beaucoup d’autres au sein du gouvernement et des médias qui font cette même affirmation. En effet, Brennan est à la tête de la CIA, mais le verdict de la communauté du renseignement est précisément à l’opposé de ce que raconte Brennan pendant son audition au Sénat. Le National Intelligence Estimate (NIE) représente les conclusions collectives des meilleurs analystes des nombreuses agences américaines de renseignement. Ce que le gouvernement sait, c’est ce que le NIE dit. Ce que le NIE ne dit pas, les fonctionnaires du gouvernement, y compris Brennan, ne le savent pas. En 2007, Le NIE estime avec « un haut degré de certitude » que l’Iran a interrompu son programme d’armement nucléaire en 2003. Cette conclusion a été «revalidée chaque année», selon Ray McGovern. Le NIE le plus récent émanant de la communauté du renseignement fournit même encore « plus de preuves renforçant cette évaluation », selon des sources du journaliste d’investigation Seymour Hersh. Le général James Clapper, qui était responsable de la préparation du NIE, a déclaré que « globalement les évaluations du NIE de 2007 sont toujours valables. Nous n’avons pas vu de signes que le gouvernement [iranien] ait pris la décision d’aller de l’avant avec le programme. » Lorsque le président du Senate Armed Service Committee , Carl Levin, demanda au général Clapper si le niveau de certitude que l’Iran n’a pas repris son programme d’armes nucléaires était élevé, Clapper a répondu: « Oui ». Hersh cite un officier du renseignement à la retraite disant: «aucun de nos efforts – informateurs, infiltrations, capteurs – ne mènent à une bombe».
L’histoire de la CIA est, malheureusement, pleine d’exemples de directeurs mentant au Président et au Congrès à propos de ce que la CIA savait. Mais ils ont toujours proféré ces mensonges dans le but de défendre et protéger leur agence et pour toujours montrer que la CIA avait raison. Lors de son audition, M. Brennan a volontairement menti au sénat en affirmant que la meilleure analyse de l’agence qu’il dirige est erronée. Le directeur de la CIA a déclaré que l’Iran est résolu à se doter d’armes nucléaires, rejetant les conclusions de la CIA qu’il dirige. Et c’est là où se situent le méga mensonge et le cynisme. Brennan, comme Tennet avant lui au sujet de l’Irak, a trituré les renseignements pour les adapter à leurs desseins politiques.
Le troisième aspect de la nouvelle gamme de méga mensonge sur l’Iran, c’est ce besoin de surveiller ce pays. Récemment, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé, avec une écrasante majorité de 174 contre 6, une résolution appelant Israël à ouvrir son programme d’armes nucléaires aux inspecteurs internationaux et à rejoindre le Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Seuls cinq pays ont rejoint Israël en s’opposant à la résolution : les Îles Marshall, la Micronésie, Palau (tous trois forment un bloc monolithique avec les États-Unis et ne votent jamais rien à l’ONU qui puisse contrarier l’Amérique), le Canada et les États-Unis.
L’Iran, selon le National Intelligence Estimate, n’a pas de programme d’armes nucléaires. L’Iran est signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Malgré tout, l’Iran est surveillé de près. Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis de pousser toujours plus loin, et l’Iran fait toujours face à des sanctions draconiennes et à la menace constante d’une guerre. Et quand, néanmoins, le monde entier, demande à Israël d’accepter que son programme nucléaire soit mis sous contrôle et de signer le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, les Etats-Unis votent non. Pour les Iraniens, ce vote américain des Nations Unies est certainement l’exemple le plus flagrant de méga mensonge.
Traduction : Avic
Ted Snider écrit pour Rabble.ca et Znet.
Source : CounterPunch via Réseau International