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Politique: quand Chypre tourne les têtes

Publié le 21 mars 2013 par Juan
On a tout entendu sur le cas chypriote. Tout et presque n'importe quoi. Des affirmations parfois surprenantes, des accusations improbables ou trop rapides, des scenarios-catastrophes à faire glacer le sang d'un technocrate bruxellois.
1. La situation chypriote n'a pas grand chose à voir avec celle de la Grèce, de l'Espagne ou... de la France. Chypre est un pays européen minuscule mais estimable qui se retrouve avec 7 fois plus de dépôts bancaires que son PIB annuel (17 milliards d'euros). Environ 40% de ces avoirs sont détenus par des Russes - particuliers ou entreprises. Autrement dit, l'île est un paradis fiscal, niché au coeur de l'Europe comme cet autre plus proche de nous, le Luxembourg. D'après quelques experts de la chose, c'est un centre de blanchiment d'argent sale et d'évasion fiscale. Bref, la pauvre Marion Maréchal-Le Pen (FN) raconte n'importe quoi quand elle déclare que ce qui s'y passe est « la bande annonce de ce qui va se passer en France ». La pauvre dame...
2. La dette chypriote est telle que la troïka européenne, ce groupe d'eurocrates chargés d'imposer des programmes d'austérité en contrepartie des sauvetages bancaires ou financiers aux pays nécessiteux de la zone euro, a demandé à l'île de ponctionner les dépôts bancaires - pour un peu moins de 6 milliards d'euros par an, si elle voulait recevoir un prêt de 10 milliards d'euros d'aide pour renflouer ses caisses.  La mesure prévoyait deux taux, 6,75% pour les avoirs de 20 à 100.000 euros, et 9,9% pour ceux au-dessus de 100.000 euros (*).
Question: en France, combien de foyers disposent de plus de 100.000 euros sur leurs comptes en banque ?
3. La situation curieuse est qu'en juin dernier, les banques chypriotes avaient demandé de l'aide. On croyait qu'elles allaient bien jusqu'à ce que la troïka ne propose ce prélèvement. Depuis la fin de semaine dernière, c'est l'angoisse. Pour éviter une ruée des clients, les banques sont restées fermées. Et elles le resteront jusqu'au mardi 26 avril. Le temps qu'une solution soit trouvée pour sortir le pays de l'impasse. Les médias chypriotes ann D'autant plus que mardi, ce fut le psychodrame: le Parlement chypriote a brillamment refusé la mesure européenne. Dans la soirée, l'eurogroup a réitéré son offre, en exonérant toutefois de tout prélèvement les dépôts inférieurs à 100.000 euros, a déclaré dans un communiqué le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem. Il était en revanche incompréhensible de constater que cette avancée - évidente - n'était nullement relevée en France ou ailleurs. Mercredi, le Parti de Gauche publiait encore un communiqué d'Alexis Tsipras qui fustigeait cette "extorsion". Pouvions nous espérer que le texte avait été écrit avant cet amendement européen ? Car enfin, quels sont les foyers modestes avec 100.000 euros à la banque ? Même à Chypre ? 
4. En France, quelques esprits chagrins avaient donc provisoirement égaré leur gauche. On a lu ou entendu quelques responsables, blogueurs ou journalistes classés à gauche s'indigner contre la mesure de la troïka. Ainsi Gaël de Santis, pour l'Humanité, s'indignait lundi matin: « L’Union européenne (UE) instaure un impôt sur le patrimoine… des Chypriotes modestes. Tous les comptes en banque des résidents à Chypre devraient être taxés. À 6,75 % pour les dépôts inférieurs à 100 000 euros. À 9,9 % au-delà. » La formule est biaisée. Certes, les taux ne sont pas suffisamment progressifs, mais les responsables de la zone euro avaient décidé de taxer tous les dépôts, petits ou grands. Et dans les banques chypriotes, les gros dépôts sont sacrément importants: on les estiment les seuls dépôts étrangers à 20 milliards sur 37...
Pour le Parti de Gauche, François Delapierre osait pourtant, lundi matin, une justification d'équilibriste: « Cette taxe est très peu progressive puisqu’elle ne connaît que deux niveaux, en dessous ou au-dessus de 100 000 euros, seuil qui laisse de côté les plus grosses fortunes. » En quoi les grandes fortunes sont laissées de côté ? Non, elles auraient été insuffisamment taxées. «Sans compter que les avoirs les plus importants sont placés en produits financiers apparemment épargnés.  » Ah bon ? Justement, les responsables de la zone euro avaient (généreusement) Nicosie se débrouiller avec les modalités. Et Delapierre d'ajouter: «  Mais parmi les 17 malfrats qui ont dévalisé les déposants chypriotes, il y avait aussi un Français, Pierre Moscovici. Dans un communiqué commun avec son acolyte allemand conservateur il saluait la victoire du président de droite dès février dernier et demandait un accord pour la fin mars. Ce braquage est aussi son œuvre. Plus de 5 milliards dérobés sans creuser un tunnel ni faire un trou dans un mur. Du grand art ! » Oublions la vulgate, restons sur le fond: n'était-ce pas sacrément révolutionnaire que de taxer l'argent qui dort dans les comptes en banques au-delà de 20 ou 100.000 euros dans un paradis fiscal ?
Question mathématique: comment générer 6 milliards de recettes sur des avoirs estimés à 37 milliards d'euros ? Avec un taux moyen de ... 12%  (**)
Mardi, 19 députés conservateurs s'abstiennent. 36 autres votent contre le plan européen. Et voici que la BCE dirigée par Mario Draghi annonce mercredi soir le blocus monétaire, et donc économique, d'un paradis fiscal de la zone euro...Ailleurs en Europe, les bourses tremblent.
 
5. L'alternative présentée, l'unique plan B détaillé au lendemain de ce vote ressemble à une privatisation des richesses gazières par l'autocrate Poutine. Le ministre des finances chypriote était à Moscou au lendemain du vote. Le pouvoir russe, bizarrement mécontent que ses propres exilés fiscaux à Chypre soit éventuellement pénalisés, a menacé la petite île. Laquelle envisage de céder ses futures ressources gazières à l'avenir... La Russie a déjà 2,5 milliards de prêts à se faire rembourser par l'île. Et la filiale bancaire de Gazprom a proposé
une aide financière en échange de licences de production de gaz naturel après la découverte de colossales ressources en hydrocarbures sous la mer au large des côtes méridionales de l'île. Mardi soir, après le vote du Parlement, le président conservateur chypriote reconnaissait qu'il ne pouvait assumer la taxe initialement prévue qui pouvait coûter « des milliards d'euros aux fortunes russes placées dans les banques de l'île


(*) L'exonération des dépôts en deça de 20.000 euros était un aménagement proposé lundi par le gouvernement chypriote. 

(**) les avoirs totaux, en incluant les entreprises, sont estimés à 90 milliards d'euros (cf. analyse de Jacques Sapir).

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