Enquête: les français aux fourneaux !

Par Fab @fabrice_gil


Cuisiner : n’a jamais été aussi trendy. Qu’il soit question de l’acte proprement dit ou bien du lieu dédié à l’exercice, aujourd’hui tout doit être montré, voire érigé comme le nec plus ultra. Cuisiner, c’est exprimer une certaine culture, une ouverture au monde, une curiosité et/ou une sensibilité. Depuis ces dix dernières années, la cuisine est valorisée et valorisante pour celui ou celle qui l’accomplit. C’est sur fond de valorisation sociale de la cuisine que Ronan Chastellier, sociologue - maître de conférence à l’Institut Politique de Paris s’est prêté au jeu de la vérité, accompagné du non moins célèbre Bruno Verjus, écrivain - critique gastronomique renommé.

Plat réalisé à l'Atelier des Chefs - www.atelierdeschefs.fr

L’atelier des Chefs - Ronan Chastellier, fort de ses pratiques en sociologie, a exprimé ce matin, sa vision anthropologique de la cuisine. Selon ses dires, la cuisine serait devenue le lieu de la convivialité, de l’échange et du dialogue. Un lieu qui serait en prise avec l’extérieur, la société, mais aussi avec le web, internet et ses nombreux réseaux sociaux. Nous le savons tous, les dits réseaux sociaux permettent aujourd’hui de maintenir le contact avec d’autres personnes, de créer un tissu relationnel, une communauté et/ou un sentiment d’appartenance à un groupe. Et bien, la cuisine trouverait, ici, son centre d’intérêt, à travers un contenu enthousiasmant, un effet de structuration collective et/ou une explosion de passion spontanée entre médiation et création. Ainsi, la cuisine évoquerait une conversation, une sorte de cogitation infinie entre les individus. En cuisine comme sur les réseaux sociaux, un opportunisme positif est entrain de naître. Des rencontres, des attachements sélectifs entre les individus vont s’épanouir, créant ainsi des interactions dynamiques : 43% des français estiment que la cuisine est un lieu d’échange - 56% d’entre eux affirment qu’on s’y confie. Oui, la cuisine est tout, sauf un lieu de somnolence social. De nos jours, le lieu cuisine est conçue comme un espace communiquant. L’aspect décor transformable du lieu se métamorphose en salon, en antichambre, en living-room et permet de maintenir un certain niveau de communication social. La cuisine devient pour les français, un nouvel espace d’intimité, un lieu à l’esprit lounge et festif avec pour mise en scène le bien être et la convivialité. Les cuisines deviennent par ailleurs, sous l’égide du design et de la déco, des lieux inspirants : le(a) cuisinier(e) y évolue en état de réception et de participation maximale. D’où cette posture artistique, voire créative, sans pour autant faire allusion à cette incarnation solitaire du chef en cuisine. Si on peut élaborer une théorie de la génialité dans ce domaine, le(a) cuisinier(e) est considéré(e) comme un être d’exception au regard du plat, lui-même conçu, comme une prestation géniale. Tout cuisinier est invité à exprimer la vitalité, la créativité qui l’habite. Il se doit, littéralement, de faire briller la petite lumière qui l’habite. Fini le sérieux et la gravité pontifiante des cuisines "étoilés". Place à l’occurrence créative : que vais-je trouver si je fais réagir deux ingrédients incompatible ?
La cuisine : lieu de théâtralité socialeDotée d’une exposition scénique, l’espace cuisine, dans son ensemble, est présenté comme un objet esthétique. On note une prééminence du sensoriel, une mise en scène du spectaculaire comme au théâtre, où la participation des acteurs requiert une grande importance. C’est ici dans un spontanéisme inattendu que se teste les idées et que les projets prennent formes. 35% d’entre nous considérons que la cuisine est un lieu de discussions, de questionnements, d’idées ou l’on viendrait faire valider son point de vue. Elle serait un nouveau lieu de production idéologique, dans une ambiance d’opinion. Il y aurait dans la cuisine une pulsion expressive, un partage d’authenticité, absent au salon - réputé plus contrôlé, plus formel. Pour illustrer ce fait, e vrai centre névralgique de l’Opéra Garnier à Paris n’était pas la salle des pas perdus mais bien son grand escalier, où les dames exhibaient leurs robes Couture, où les messieurs se rencontraient pour fumer. Un lieu de mondanité - comme la cuisine - véritable point d’orgue de la soirée. Si la jouissance traduisait la force scénique de l’Opéra, le jeu mondain des escaliers en était le préliminaire. Aujourd’hui, la cuisine est ce lieu de plus que jouir, probablement plus qu’au salon.
Bruno Verjus, homme de goût parle à son tour de la cuisine, la vraie : "Le plaisir comme chacun sait fait secréter des endomorphines ; drogue naturelle propice à l’ouverture du corps, de l’âme et de l’esprit, à la créativité. Nous avons beaucoup de chance de vivre notre époque, parce qu’avant, la cuisine se transmettait sous forme de recettes, confiées jalousement par sa grand-mère, sa grand-tante ou plus simplement par sa maman. Il y avait une sorte de transmission culinaire par la famille. Depuis, les cuisines dites professionnelles ont été totalement aboli… de trois façons :En premier avec l’engouement pour la cuisine qui entre chez vous via la télévision, la radio, les revues et les médias… non pas en termes de sens mais de quantité.En second, il suffit de regarder autour de soi, dans le commerce, pour s'apercevoir que tous les outils dédiés à la profession sont à portés de mains. Pour exemple donné, les célèbres siphons utilisées de façon récurrentes.  Autrefois, les mamans montaient leur crème avec un fouet. Aujourd’hui, la même crème est versée dans un siphon moyennant deux cartouches de gaz. Un troisième élément important, les mots : ils font rêver. Aujourd’hui la littérature culinaire est extrêmement importante. Les livres sont mieux écrits et les recettes moins codifiés. De nos jours, on parle "état d’esprit", "mode de pensée", avec un comportement qui favorise la réalisation d’une recette, plutôt que d’être dans une adaptation au gramme près. Point fondamental, pour l’exercice de la créativité en cuisine : les produits. Ils ont toujours été les éléments fondateurs de toute créativité culinaire. La cuisine française, notamment, n’existe que par l’arrivée de produits venant du monde entier, c’est ce qui enrichit la palette créative des cuisiniers.Au-delà de cela, nous nous devons d’apprendre, de comprendre les saveurs, au lieu d’être dans le spectaculaire en terme de forme dans l’assiette ou en terme d’expression. Loin d’être dans l’époustouflant ou la compétition, nous devons revenir au sens premier qu’est la cuisine, c'est-à-dire le goût avec des produits de grande qualité; Produits qui permettent de bien nourrir : nourrir le corps puisque c’est fondamental, mais aussi nourrir l’âme et donc d’une certaine façon, anticiper les créations futures."
Face aux incertitudes d’une situation économique pénible, les français restent pragmatiques sans sacrifier totalement à leurs petits plaisirs culinaires. La cuisine fait partie de ces voluptés que l’on peut s’offrir sans trop écorner son porte-monnaie. La perspective d’un bon repas fait maison, composé de bons ingrédients, partagé en famille ou entre amis n’a pas d’égal. Français, à vos fourneaux !Fabrice Gil