Pierre-Elliot Trudeau fut un grand premier ministre du Canada. Éduqué par les jésuites, avocat, il a parcouru le monde durant sa jeunesse. Racé, coloré, libre penseur, il a marqué la politique canadienne. C’est en 1965 qu’il fut invité par le premier ministre canadien Lester Pearson à se joindre au Parti Libéral du Canada (PLC) avec deux autres éminents Québécois, Jean Marchand et Gérard Pelletier. Les « trois colombes », qualificatif choisi par les médias, acceptèrent. Trudeau croyait dans la confédération canadienne et c’est ce qui l’incita à se joindre à un parti politique fédéral. Élu facilement député, il devint secrétaire parlementaire du PM.
Deux ans plus tard, en 1967, une conférence constitutionnelle des premiers ministres, canadien et provinciaux, fut organisée et c’est là, en tant que ministre de la Justice, que Trudeau, grâce à ses interventions dans les débats, fut reconnu comme un homme qui prendrait une place importante dans la politique canadienne. Au congrès pour la chefferie libérale qui suivit la démission de Pearson, il contra tous les obstacles et fut élu au quatrième tour pour devenir le quinzième premier ministre (PM) canadien.
Trudeau ne refusa aucune bataille, constitutionnelle ou autre. Intelligent, articulé, ayant un bon jugement, debater exceptionnel et persuasif, il avait un franc-parler qui laissait bouche bée ses adversaires.
Il se maria alors qu’il était premier ministre et eut trois fils, dont son ainé Justin.
A sa retraite, il entreprit de combattre, presque seul, l’important accord constitutionnel du Lac Meech qui, finalement, ne fut pas ratifié au grand dam du PM Brian Mulroney. Décédé en 2000, il est demeuré dans la mémoire des Canadiens, même de ceux qui ne l’ont pas aimé, un politicien pas comme les autres, situé à plusieurs coches au-dessus.
Nous voilà en 2013, au moment où le Parti Libéral du Canada est dans une situation dramatique. Jadis si puissant, il est maintenant la 2ième opposition à la Chambre des Communes, dépassé par les socialistes du Nouveau Parti Démocrate (NDP). Depuis sa descente aux enfers, il a tout fait pour se redresser. Il cherche le chef-miracle capable de ramener les Canadiens à son bercail. Dans un premier temps il a choisi lors d’un congrès palpitant et surprenant, l’intellectuel Stéphane Dion, député de Montréal. Malgré son intelligence, sa clarté de vue, son bon vouloir, Dion a été balayé aux élections par Stephen Harper, chef du Parti conservateur (PC). Puis, Michael Ignatieff, aussi intellectuel mais de Toronto, fut choisi pour diriger les destinées du parti. Lui aussi subit une dégelée électorale aux mains d’Harper et du NPD. Dion et Ignatieff auraient été de bons premiers ministres mais ils n’avaient pas le charisme nécessaire à la victoire politique.
Malgré ses revers et grâce à son chef intérimaire, Bob Ray, le parti a su se tenir la tête hors l’eau. Il a repris quelques forces, mais sa résistance est fragile. Une nouvelle course au leadership a été déclenchée. Et, pour élire ce chef, le PLC a imaginé une méthode originale mais bizarre : tous les Canadiens sympathiques à la cause du parti, membres ou non, peuvent voter. Le coût est 4$, il faut avoir atteint 18 ans, être un électeur qualifié, non-membre d’un autre parti et se déclarer « supporteur ». A ce jour, plus de 110 000 Canadiens ont complété le formulaire d’enregistrement. Le vote est le 14 avril 2013.
Huit candidats se disputent actuellement le leadership, depuis que l’ex-astronaute Marc Garneau s’est retiré de la course, la semaine dernière. Quatre de ces candidats sont des femmes qui ont toutes de grandes qualités. Un autre candidat est Justin Trudeau, le fils de Pierre-Elliot. Il a 36 ans et aime se faire appeler, simplement, Justin.
Il a étudié la littérature anglaise à l'université McGill, l'éducation à l'université de Colombie-Britannique. Il a fait des études de génie à l’École Polytechnique de Montréal, mais a quitté après deux ans. Il s’est engagé dans une maîtrise en géographie environnementale à l'université McGill mais, encore une fois, a quitté avant de terminer. En somme, il a butiné d’école en école, sans obtenir de diplôme, piquant ici et là des bribes de connaissances. Marié, il a deux enfants de 4 et 6 ans.
À l’élection générale de 2008, Justin est élu député fédéral du comté de Papineau à Montréal malgré qu’il n’était pas le favori à cause d’une vague populaire qui transporta le Bloc Québécois. Il est réélu en 2011, nonobstant, cette-fois, la vague NPD qui remporta presque tout le Québec. Chaque fois, il s’avère être un bon « campaigner » qui sait gagner la faveur des électeurs ouvriers et multiethniques. Un gagnant !
Le 31 mars 2012, il met KO par décision, alors qu’il n’est pas favori, le sénateur conservateur Patrick Brazeau lors d'un combat de boxe à l'occasion d'un gala de bienfaisance pour la lutte contre le cancer.
En septembre, Justin annonce qu'il sera candidat à la chefferie du Parti libéral du Canada.
Depuis le début de sa carrière politique fédérale de 5 ans, Justin est porté à gaffer. Quelques exemples : en 2007, il critique « la séparation en éducation des anglophones et des francophones au Nouveau-Brunswick ». En 2011, il s'exprime indirectement en faveur de la souveraineté du Québec, disant que « sa loyauté au Canada dépend de si le gouvernement de l'heure correspondait à ses valeurs personnelles ». Il accuse faussement « le gouvernement Harper de vouloir rendre illégaux l'avortement et le mariage gay ». En 2012, il lance que « le Canada ne va pas bien parce que ce sont des Albertains qui contrôlent nos communautés et notre agenda socio-démocratique ».
Les médias, les fédéralistes, les Albertains, les Acadiens, les Québécois et évidemment ses adversaires qualifient les propos de Justin d’irréfléchis, d’arrogants, d’haineux, de diviseurs et de discriminatoires. À mon avis, il aime frôler la démagogie et ce faisant démontre un manque de jugement. Encore plus, les excuses, que Justin présente pour se sortir des pétrins dans lesquels il se fourre sans attention, sont maladroites et non persuasives.
Malgré ses fautes politiques, rien ne colle à Justin comme le démontre un récent sondage interne au PLC qui indique qu’il remportera plus de 60% des votes au congrès de leadership. Il est le candidat « teflon ». Comme si l’adage politique « en politique peu importe ce que vous dîtes, l’important c’est que l’on parle de vous.. » était vrai.
De toute évidence, Justin Trudeau n’est pas prêt à être chef d’un des plus grands partis politique du Canada. Il n’a, à ce moment-ci de sa carrière politique, ni la formation, ni l’expérience pour devenir premier ministre du Canada. Ses seules forces sont son nom, sa belle face, son entregent. Il mise sur le fait que la politique est un commerce d’images et d’illusions. Mais, malheureusement, pour lui et le parti, il n’est pas Pierre-Elliot Trudeau. Ce dernier avait l’intellect, la connaissance, le caractère, l’envergure, le « flower power » qui lui donnaient la capacité de persuader les Canadiens et Canadiennes de le porter à la tête du pays. Justin ne semble avoir rien de cela, sauf le charisme.
Les libéraux qui avaient misé sur les qualités intellectuelles de Dion et Ignatieff gagent maintenant sur l’image. À mon avis, ils font, à nouveau, une erreur.
C’est triste car deux des candidates au leadership libéral sont exceptionnelles et capables de gagner éventuellement une élection générale. Ce sont Martha Hall Findlay et Joyce Murray. Elles ont chacune l’éducation, l’expérience, la capacité et l’image requises. Quelle belle opportunité s’offre aux membres du parti ! Ils se doivent de réaliser que les Canadiens et Canadiennes, depuis quelques années, votent, partout au pays, pour des candidates féminines, puisque cinq d’entre elles sont premiers ministres de dix des provinces canadiennes : Pauline Marois au Québec, Alison Redford en Alberta, Christy Clark en Colombie–Britannique, Kathleen Wynne en Ontario et Kathy Dunderdale au Terreneuve-Labrador. Ensemble, elles représentent plus 81% de la population canadienne.
Justin deviendra probablement le nouveau leader de son parti. Mais l’affaire n’est pas dans le sac pour la prochaine élection générale.
Claude Dupras