Cette semaine, parlons d’un manga enrichissant, comme nous en avons à de rares occasions chaque année : Cesare. Après avoir chroniqué ici des titres comme Wolfsmund, 7 Shakespeares, Thermae Romae, j’avoue sans honte mon penchant pour tous les titres qui s’inspirent de manière plus ou moins libre de personnages et de faits historiques.
Cette fois-ci c’est sur le personnage de Cesare Borgia, seigneur italien et homme d’église de la renaissance, qu’une mangaka se penche. L’histoire de cet homme nous est conté par Fuyumi Soryo (Mars, Eternal Sabath) et son co-scénariste Motoaki Hara, professeur d’université spécialiste en littérature et histoire italienne. Ce manga retrace surtout la genèse de ce génie politique et militaire en croisant son destin avec celui des figures historiques de l’époque. On en apprend énormément, les personnages sont captivants et on ne s’ennuie pas au beau milieu de cette intrigue socio-politico-religieuse de la fin du 15ème siècle, située en plein cœur de Pise.
On reconnait bien là toute la densité des œuvres du magazine où il est publié : Morning de la Kodansha. Il y côtoie Vagabond, Billy Bat ou les Gouttes de Dieu… Voici sans doute un magazine pour lequel les éditeurs français doivent se battre corps et âmes ces dernières années ! Le volume 10 sort au Japon cette semaine mais la parution est extrêmement lente puisqu’il s’écoule un an – voir davantage – entre chaque tome, en raison de la forte documentation nécessaire aux deux auteurs pour leur récit.
Enfin, impossible de finir cette introduction sans préciser que ce titre sort ce weekend chez Ki-oon et qu’il a une double actualité : Fuyumi Soryo et Motoaki Hara seront présents cette semaine sur le Salon du Livre de Paris, pour des conférences et dédicaces ainsi qu’une rencontre avec votre chanceux serviteur pour une interview destinée à Journal du Japon, en complément de cette première présentation.
La preview justement, allons y !
Quand le Pise d’aujourd’hui révèle l’église de demain…
Nous sommes en 1491, dans la petite ville de Pise, en Italie. Le jeune Angelo Da Canossa commence sa nouvelle vie d’étudiant dans l’université de la ville, La Sapienza. D’origine modeste, il doit son ticket d’entrée à Lorenzo de Medicis, un puissant banquier italien qui l’a pris sous son aile.
Fraichement débarqué et des plus naïf, Angelo n’a aucune notion de la vie en société et son franc parler va très rapidement le mettre dans l’embarras. Il faut dire que le Pise de l’époque est le centre de machination politique et de luttes dans l’ombre pour le pouvoir religieux, entre les familles Medicis, Borgia ou avec l’ordre des Dominicains. Mais c’est aussi, avec la ville de Florence situé à proximité, une région fourmillant d’esprits brillants tels que Leonard de Vinci, Machiavel ou encore Cristophe Colomb, sur le départ pour sa célèbre expédition pour les Amériques.
Au milieu de ces tumultes et de ces hommes d’exception, Angelo va faire la connaissance d’un génie qui attire tous les regards : Cesare Borgia. Il est le fils du Cardinal Rodrigo Borgia, un homme avide qui use de toute son influence et de son argent pour devenir le prochain Pape, la titre de le puissant de l’époque. Déjà au centre des attentions de part son nom, Cesare est aussi l’un des esprits les plus captivants de université de Pise. L’innocence, le franc-parler et les analyses troublantes d’Angelo ne vont pas passer inaperçues et il va rapidement se lier avec Cesare et le cercle des espagnols… Mais pour le meilleur ou pour le pire ?
Cesare, il creatore che ha distrutto
Ou, si vous préférez, « le créateur qui a tout détruit« . Mais avant d’en venir là, la route est longue et notre récit nous mène d’ailleurs sur le bord du sentier, par l’arrivée d’un inconnu sur les bancs de l’université de Pise : Angelo Da Canossa, dont on ne sait pas s’il a ou non vraiment existé. Dans un processus narratif qui commence de manière classique nous découvrons à travers les yeux de ce nouvel arrivant la cité de Pise et son université, ainsi que les familles puissantes qui y règnent dans la concurence et sans partage. Une excellente introduction étayée par un préambule qui nous mets dans l’ambiance. Les deux auteures savent que l’étiquette de Manga d’Histoire n’est pas forcément la plus vendeuse pour le lectorat manga, et ils souhaitent vraiment mettre son lecteur à l’aise. Idem au début du volume 2 qui repose rapidement les bases des différentes intrigues politiques. On apprécie.
Mais cet ouvrage cherche à attiser notre curiosité sur cette homme. Les sublimes couvertures de l’édition française y participent, tout comme les premiers chapitres de cette histoire ou l’étudiant Borgia, pourtant meneur d’un cercle renommé, est insaisissable. Mais sous une apparence et une réputation désinvolte voire libertaire, c’est un homme d’une envergure impressionnante que l’on va découvrir au fil des pages. Il est amusant de voir avec quel malice les deux mangakas lui donnent de plus en plus de place, quitte à effacer Angelo du récit d’ailleurs.
Le gentil, honnête, intelligent mais un peu nigaud Angelo devient rapidement une porte d’entrée dans la psychologie de Cesare, qui est très difficile à lire et qui ne fait tomber le masque qu’à une ou deux occasions… Face à Angelo qui s’étonne de la dureté du monde, on découvre un Cesare écœuré par les machinations de l’église pour asservir le peuple. De même, à la fin du second volume, c’est Leonard de Vinci qui arrive à révéler l’adolescent en se jouant de lui dans un jeu d’esprit. Mais le reste du temps c’est un homme qui suit le chemin qu’on a tracé pour lui avec un flegme troublant.
Bref, il est très difficile de savoir encore qui est Cesare Borgia dans ces deux premiers tomes mais il témoigne déjà d’un intellect, d’une détermination et d’une grandeur assez bluffante, et on ne sait pas si on doit l’aimer ou le craindre. C’est ce qu’on appelle le charisme, je suppose.
« La renaissance est sans doute la période la plus brillante de l’histoire de l’humanité… »
C’est ainsi que Fuyumi Soryo évoque ce deuxième axe principal de cette histoire : la Renaissance italienne, point de départ de LA Renaissance dont nous avons tous entendu parler, et qui prend son origine à Florence. Cesare prend place au début de cette période historique qui a permis aux artistes d’exprimer totalement leur art après des siècles d’un verrouillage culturel de l’église.
Néanmoins, comme on peut le voir dans le récit, les hommes d’églises sont bien les hommes de pouvoir de cette époque et on navigue entre manipulations, complots et assassinats entre familles d’Italie et d’Espagne. Des tempéraments exacerbés par un pape, Inoccent VIII, qui est mourant. La place de maître du monde chrétien est donc bientôt à prendre et tout est bon pour y accéder.
A l’image du personnage de Cesare, au visage d’ange mais à l’esprit révolté, cette époque propose mélange deux facettes humaines : la recherche du pouvoir et la beauté des arts. Les décors et les lieux en général sont tout bonnement magnifiques et envoutants.
Revoir la devanture du Couvent San Marco dans le tome 2 m’a donné une folle envie de retourner à Florence pour replonger dans cette architecture italienne totalement unique.Le niveau de détail est totalement remarquable et on ne s’étonne plus du rythme de parution inhabituel de la série. En effet Fuyumi Soryo et Motoaki Hara ont obtenu le privilège rare d’avoir des délais de rendus extensibles en fonction de leur besoin de recherches, que ce soit pour des faits historiques, la définition de la personnalité d’un personnage réel ou encore pour essayer de représenter le légendaire toit de la chapelle Sixtine avant que Michel Ange y représente sa célèbre fresque et son tableau la création d’Adam.
Tout ceci est d’ailleurs évoqué à la fin du second tome qui contient, judicieuse idée, une entrevue entre les auteurs qui reviennent sur le processus créatif de la série.
De ces deux premiers tomes émanent donc les débuts d’un récit très prenant, très richement documenté mais aussi très bien mise en scène et porté par des personnages historiques intrigants… Vous pouvez donc acheter ce titre les yeux fermés et surtout, si vous avez l’occasion de venir sur le Salon du Livre de Paris ce weekend, ne ratez pas l’occasion de venir voir les deux auteurs en dédicaces, de visiter l’exposition de l’éditeur et d’assister à la conférence publique la samedi à 15h30.
Fiche descriptive
Auteurs : Fuyumi Soryo & Motoaki Hara
Date de parution : 21 mars 2013
Éditeurs fr/jp : Ki-oon / Kodansha
Nombre de pages : 192
Prix de vente : 7.90€
Nombre de volumes : 2/10 (en cours)
CESARE © Fuyumi Soryo / Kodansha Ltd.
Plus d’informations sur le site de Ki-oon, vous pouvez d’ailleurs lire un premier extrait ici pour vous faire une idée.