[Jean Starobinski évoque ici les lectures poétiques à haute voix de Paul Celan]
« L’ayant écouté lire ses poèmes, j’ai noté hâtivement : [...] Toute
sécurité retirée. Respirant par la grâce de l’irrespirable. Pourtant le tracé
acéré, la mélodie envoûtante des syllabes, la distribution souveraine des
timbres et des accents [...] ? Loi des balancements fluides, des
symétries, des oppositions : rigoureuse comme la géométrie du cristal
[...]. Même quand la parole ne peut plus habiter le monde, ni le poète habiter
sa parole. Le poème est impérieusement vocal [...]. Pureté de la syllabe
vibrante, sans défense, exposée à l’énorme hostilité du monde, à l’insidieux
assaut du rien. Pureté comme le son d’une corde trop tendue qui survit à sa
défaite, à sa rupture. Alentour s’accroît la pression du silence, le vieil
allié, l’irréductible adversaire. »
Jean Starobinski, « L’ayant écouté lire », Études germaniques, n°3, « Hommage à Paul Celan »,
juillet-septembre 1970, p. 291, cité par Michèle Finck, in Giacometti et les poètes : « Si tu veux voir, écoute »,
Hermann, 2012, p. 23.