La bulle immobilière américaine à l'origine de la crise des subprimes a été sciemment créée par les autorités monétaires US.
Par Vladimir Vodarevski.
Dans un article publié par Contrepoints, "Fed:Le rapport qui fait grincer des dents", le blogueur Lucas Heslot cite Paul Krugman, dans le New York Times en 2002 :
Pour combattre cette récession la Fed a besoin de plus qu’une volte-face, elle a besoin d’une explosion des dépenses des ménages pour compenser les investissements moribonds des entreprises, et pour cela, Alan Greenspan doit créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq.
En Europe également les taux d'intérêt ont été maintenu très bas, alors que la masse monétaire s'emballait. Officiellement, la BCE mène une politique de stabilité monétaire. Sauf que, selon la théorie monétariste, ou la théorie quantitative de la monnaie, une politique de stabilité monétaire implique de réguler la croissance de la masse monétaire. Ce que n'a pas fait la BCE. Souvenons nous qu'à l'époque était vanté "l'effet richesse" : l'augmentation des prix de l'immobilier et des actifs financiers permet de s'endetter en donnant ces actifs en garantie, ce qui soutient la consommation, et donc la croissance, et fait augmenter encore plus les actifs immobiliers et financiers. Encore un argument en faveur des bulles, immobilières ou financières. Enfin, les pays où un tel "cercle vertueux" n'était pas mis en place étaient montrés du doigt : ils avaient trop d'épargne, et ne distribuaient pas assez de crédit. Ainsi, en France, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, avait voulu mettre en place le système d'hypothèque à l'américaine, qui permet d'obtenir des crédits à la consommation garantis par l'immobilier.
Que penser alors quand partout ce sont aujourd'hui les marchés financiers qui sont accusés des bulles ? Sans que personne ne souligne la politique menée auparavant ? Machiavélisme ? Volonté de tromper ?
La crise est attribuée à l'exubérance des marchés financiers, le goût du profit. Rarement il est rappelé le rôle de la Fed dans cette exubérance. En soutenant l'économie, à travers l'immobilier, par des taux bas, elle a favorisé la hausse des marchés financiers. De par la croissance, qui provoque la hausse des actifs financiers. Mais les taux bas favorisent également les effets de levier. Comme il est très bon marché de s'endetter, les entreprises empruntent, et remboursent du capital à leurs actionnaires. Les dividendes augmentent, ce qui fait augmenter les rendements des actions, et augmenter les cours de la bourse. Ou encore, les entreprises rachètent leurs actions, ce qui est une forme de distribution, et fait également augmenter les cours. Enfin, les opérations de rachat d'entreprise par endettement, les LBO, ont pu se multiplier.
Le développement des subprimes provient également des taux bas, et aussi de l'action du gouvernement fédéral des USA. Ce dernier rachète aux banques la majorité de leurs prêts hypothécaires. C'est une politique visant à favoriser l'accès à l'immobilier, ainsi que la construction. Ces rachats se font à travers deux organismes, Fannie Mae et Freddy Mac. Or, le gouvernement a assoupli les conditions de rachat de prêts hypothécaires, pour permettre le crédit immobilier à des populations peu solvables. Ces prêts risqués sont appelés prêts subprime. Ce qui a favorisé le développement de ces crédits subprime. Une petite partie de ces crédits a été titrisée, à travers une opération complexe. On créait un fonds, appelé véhicule, dans lequel on mélangeait des crédits subprime avec d'autres crédits, moins risqués, et on vendait des parts de ce fonds. Il y avait trois sortes de parts : sans risque, moyennement risquée, très risquée. Le problème est survenu quand les emprunteurs n'ont pas pu rembourser. Ce qui était considéré comme sans risque est devenu risqué, et il est devenu impossible de mesurer le risque pris par les acheteurs de ces titres. D'où un blocage financier.
Accuser le manque de régulation des banques par ailleurs est absurde. Celles-ci sont encadrées par les critères de Bâle. Leurs investissements dépendent totalement de ces critères (Une bonne illustration en est donnée par l'article de Georges Kaplan : "Crédit bancaire aux US depuis 1973"). Elles ont investi dans les titres subprime car ceux-ci étaient considérés comme sans risque par la réglementation. De même, critiquer le manque de réglementation des agences de notation est absurde puisque ces dernières doivent le rôle qu'elles jouent aujourd'hui... à la réglementation !
Mais la crise financière n'est que la partie émergée de l'iceberg. La crise provient de l'inversement de l'effet richesse : baisse de la valeur des actifs, diminution des possibilités de crédit, baisse de la consommation, hausse du chômage, et un cercle vicieux s'enclenche, conséquence de la politique de soutien de l'économie par des bulles.
On peut lire également que l'endettement des ménages aux USA s'explique par la montée des inégalités, dues bien entendu à la dérégulation ultralibérale. Le rôle du gouvernement fédéral, à travers les organismes Fannie Mae et Freddy Mac, cités plus haut, est ignoré. De même que le Community Reinvestment Act, une loi controversée qui oblige les banques à accorder des crédits à certains quartiers réputés discriminés par celles-ci. Sans chercher à savoir si ces quartiers sont réellement discriminés, ou si la population y est peu solvable.
Enfin, d'où viennent les inégalités ? Les bulles ont provoqué l'envolée de la valeur des actifs financiers et de leurs revenus. Ce qui profite aux détenteurs de ces actifs, généralement déjà riches. C'est donc la politique de bulle qui provoque la montée des inégalités.
Pourtant, personne ne se penche sur la responsabilité de ces politiques. En fait, il est reproché aux marchés financiers de ne pas avoir réagi comme ces politiques l'auraient voulu. Il faut donc contrôler encore plus les marchés et leurs acteurs, pour qu'ils réagissent comme il le leur est demandé. En fait, à travers la politique monétaire, et le contrôle des marchés financiers, jamais les gouvernements n'ont été aussi interventionnistes. C'est une vision de l'économie comme une mécanique, comme une ingénierie sociale, qu'il est possible de totalement contrôler, et qu'il est nécessaire de totalement contrôler. Au lieu de voir dans la crise une conséquence des erreurs du passé, il y est vu une justification à une fuite en avant dans la politique de bulle. Aujourd'hui, une bulle obligataire soutient l'endettement des pays, la Fed a provoqué une bulle des emprunts étudiants, tandis que Wall Street retrouve des niveaux records, alimentée par les liquidités que déversent les banques centrales à travers le monde.
Le problème le plus important n'est pas tant le choix de la politique économique, que l'opacité de ce choix. On nous prétend en démocratie, mais le citoyen lambda, à travers les médias, n'a aucune possibilité d'avoir la moindre idée des tenants et aboutissants de la crise. Ce qui fait le lit des extrémismes, des populistes, comme en Italie par exemple. Mais, là encore, alors que la simple vérité des faits aiderait à combattre les populismes, la pensée unique accuse ses rares détracteurs de mener une politique "d'austérité" qui favorise les populismes ! Alors que l'austérité est toute relative, et que même ceux qui s'opposent à la fuite en avant de la dépense ne dénoncent pas la politique de bulle.
Aujourd'hui, la situation est bloquée. Après la crise des années trente, et plus d'une décennies de protectionnismes et de guerre monétaire, il avait fallu la guerre la plus meurtrière de tous les temps, marqués par des génocides, pour repartir sur de meilleurs bases : la stabilité monétaire, et le développement du commerce international. Malheureusement, le vers était dans le fruit, et la situation s'est dégradée (cf. La politique économique avant et après la crise). La question est donc : jusqu'où tomberons-nous aujourd'hui, avant de réagir ?
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