Pour la première fois depuis la fin de son mandat, il y a huit ans, Gerhard Schröder s’est exprimé mardi au parlement de Berlin devant le groupe parlementaire SPD. Il a profité du dixième anniversaire de son agenda 2010 pour justifier la politique antisociale de sa coalition gouvernementale. L’ensemble de la direction présente du SPD l’a applaudi et célébré le succès des lois Hartz [réforme de l’assurance chômage].
Le dirigeant du SPD, Sigmar Gabriel, s’est dit d’accord avec Schröder : « L’agenda 2010 a été un véritable succès. » Le candidat à la chancellerie, Peer Steinbrück, a critiqué « l’attitude occasionnellement réservée » de certaines sections du SPD à l’égard de cette « réforme qui fait date ». Il a souligné que le SPD aurait dû traiter l’agenda avec beaucoup plus de confiance en soi et de fierté. Le président du groupe SPD au Bundestag, Frank-Walter Steinmeier, a déclaré que la politique de l’agenda de Schröder avait empêché l’Allemagne de décliner au niveau de l’Italie, de la France et de l’Espagne qui, tous, doivent affronter les énormes problèmes de la crise de l’euro.
Le SPD a délibérément commencé sa campagne pour les élections législatives de cette année avec ces éloges pour l’agenda 2010. Il rappelle ainsi aux associations patronales et à l’aristocratie financière que c’était un gouvernement social-démocrate, en alliance avec les Verts, qui avaient opéré des coupes dans les dépenses sociales qui dépassaient de loin toutes les mesures prises, avant et après, par les différents gouvernements conservateurs.
Le SPD attaque le gouvernement Merkel par la droite en l’accusant de ne rien faire. Selon les sociaux-démocrates, Angela Merkel et son partenaire de coalition, le Parti libéral-démocrate (Freie Demokratische Partei, FDP) aurait cherché à exploiter le succès de l’austérité sociale-démocrate pour le patronat et négligé la « réforme des systèmes sociaux », c’est-à-dire de davantage de coupes sociales.
Schröder et la direction du SPD réclament maintenant un agenda 2020. L’Allemagne ne peut défendre son avantage par rapport aux puissances économiques émergentes, tels le Brésil et la Chine, que « si elle travaille dur pour faire des efforts de compétitivité », a dit l’ancien chancelier.
La compétitivité avec la Chine et le Brésil signifie des salaires de famine pour les travailleurs allemands et la destruction du système de protection sociale.
L’agenda 2010 et les lois Hartz ont déjà eu des conséquences sociales dévastatrices. Au bout d’un an de chômage, les travailleurs licenciés perdent l’intégralité de leurs prestations sociales et deviennent totalement tributaires d’une maigre allocation chômage de 382 euros par mois. Dans le même temps, ils sont contraints d’épuiser toutes leurs économies. Les allocataires de prestations Hartz sont obligés d’accepter tout travail proposé, même s’il ne correspond en rien à leurs qualifications ou à ce qu’ils gagnaient auparavant.
Selon une étude réalisée par l’Association à l’aide sociale paritaire (Paritätischer Wohlfahrtsverband), quiconque se retrouve dans le piège de Hartz IV a peu de chance d’éviter la pauvreté. La perspective de dépendre de Hartz IV force ceux qui ont perdu leur emploi à accepter des emplois à bas salaire, souvent de type intérimaire et à temps partiel. La légalisation de tels emplois précaires était l’objectif de l’agenda 2010. Ceci a eu pour conséquence un accroissement drastique de la pauvreté et a servi à créer un secteur de travail à bas salaire qui ne cesse de s’étendre.
Le résultat de l’agenda 2010 a été la création d’un second marché du travail caractérisé par le travail intérimaire et contractuel, faiblement rémunéré et privé de toute protection sociale et de droits. Seuls 29 des 42 millions de travailleurs salariés disposent en Allemagne d’une certaine forme d’assurance sociale. 5,5 millions travaillent à temps partiel et 4,1 millions gagnent moins de 7 euros l’heure. L’ensemble des 4,5 millions qui dépendent de prestations sociales comprend 1,4 millions de personnes qui ont un emploi mais ne gagnent pas assez pour couvrir leurs frais de subsistance.
L’agenda 2020 des sociaux-démocrates est conçu de façon à intensifier ces attaques sociales. Ceux-ci travaillent main dans la main avec l’élite financière criminelle qui a pillé les ressources sociales au nom du renflouement des banques et qui utilise actuellement la crise de l’endettement pour éliminer toutes les concessions sociales faites par la classe dirigeante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce qui reste de l’Etat providence européen – des salaires fixés par les conventions collectives, la protection contre les licenciements, le droit au salaire en cas de maladie, le congé maternité, la retraite de base, l’assurance maladie et l’assurance accident – tout ceci est actuellement éradiqué au nom de la compétitivité internationale.
Les associations patronales applaudissent. Le journal économique allemandHandelsblatt a publié la semaine passée un article intitulé : « Le nouvel agenda du SPD. »L’article débute comme suit : « A l’occasion du dixième anniversaire de l’agenda 2010, l’ancien chancelier Schröder en a fait l’éloge. C’est dans ce même esprit que le candidat du SPD à la chancellerie, Peer Steinbrück, a saisi l’occasion pour se tourner vers les chefs d’entreprises. »
Suit un article consacré à la participation de Schröder à une « réunion annuelle de financiers et de conseils en placement » de la société d’investissement DWS, une filiale du groupe Deutsche Bank, et qui s’était tenue dans les locaux luxurieux du Vieil Opéra de Francfort sur le Main. Avec un actif de 269 milliards d’euros, la société DWS est l’une des premières entreprises d’investissement au monde.
« C’est le cadre de prédilection de l’ancien chancelier Gerhard Schröder. Et il s’en donne à cœur joie, » selon Gabor Steingart, le rédacteur duHandelsblatt. Schröder a défendu les coupes dans les dépenses sociales et a souligné que ce qui avait surtout compté à l’époque c’était non seulement la compétence économique mais aussi le leadership. Schröder a décrit les protestations massives contre la politique de son agenda comme étant « une réticence conservatrice face aux réformes » à laquelle on ne pouvait à aucun prix céder.
Sous les applaudissements des directeurs réunis, Schröder a souligné : « Mais c’est le propre de la responsabilité politique : il faut avoir la force de vouloir et d’être capable d’imposer ce qui est nécessaire. Même au prix de perdre le pouvoir. »
C’est le langage de la dictature. Le SPD propose ses services à l’élite financière, comme un parti décidé à imposer une intensification des coupes sociales, indépendamment de la volonté des électeurs et à mener une contre-révolution sociale en étroite collaboration avec les syndicats, et contre toute opposition populaire.
Quelques jours avant la fin de son mandat de chancelier, Gerhard Schröder, avait pris, pour le compte du consortium russe Gazprom en échange d’un salaire d’un quart de million d’euros, la tête du conseil de surveillance du comité des actionnaires de la North European Gas Pipeline Company (NEGPC). A cet égard, c’est un représentant typique des couches dirigeantes du SPD et des syndicats. Ces figures bureaucratiques corrompues manquent de tout scrupule social et démocratique et sont ouvertement hostiles envers la population laborieuse.
L’élément essentiel de l’agenda 2020 social-démocrate est fait de formulations gauchistes transcrites dans le programme électoral officiel par les cyniques qui siègent au quartier général du SPD à Berlin. Sous le titre « Davantage de démocratie et de justice sociale, » le SPD critique le « déséquilibre social » qu’ils ont créé et réclame un salaire minimum national, la justice sociale, un impôt sur la richesse, la suspension des projets de relèvement de l’âge de départ à la retraite à 67 ans, davantage d’opportunités dans le domaine de l’éducation, etc., etc.
Quant à Schröder, il a clairement fait comprendre ce que la direction du SPD pense de telles promesses lorsque, dans les locaux du Vieil Opéra, il a informé les requins de la finance que ce fut un principe chez lui, durant toute son activité politique, de ne jamais consulter de programme électoral. Son auditoire a trouvé cette remarque fort amusante. Lorsqu’il fut élu chancelier en 1998, Shröder déchira le programme politique de son parti et le fit passer à la déchiqueteuse. Un futur gouvernement SPD en fera autant. L’unique objectif du programme actuel est de duper les électeurs.
Quant au parti La Gauche (Die Linke, l’homologue allemand du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon), il suit fidèlement le tournant droitier du SPD. Il y a dix ans, un grand nombre de membres et d’électeurs écoeurés du SPD s’étaient détournés du parti pour soutenir la mise en place du WASG (Alternative électorale travail et justice sociale) qui, peu de temps après, fusionna avec le Parti du socialisme démocratique (PDS) post-stalinien pour former La Gauche et fournir ainsi un refuge aux sociaux-démocrates désenchantés. A présent, La Gauche propose ses services dans le but d’assurer une majorité au SPD, sans tenir compte de l’agenda 2020.
L’une des premières décisions prises par la nouvelle direction de La Gauche, Katja Kipping et le bureaucrate syndical Bernd Riexinger, a été, dans le cadre des élections futures, de ne pas coller d’affiches portant le slogan « Hartz IV doit partir ».
Maintenant, La Gauche fait un pas de plus. Début mars, le vice-président du groupe parlementaire de La Gauche, Dietmar Bartsch, a rencontré Wolfgang Clement, un architecte de la politique de l’agenda du SPD. Aux côté de Clement, ancien ministre du Travail sous le gouvernement Schröder et actuel partisan du FDP néo-libéral, Bartsch a déclaré que l’agenda 2010 « n’a pas été que négatif » pour l’Allemagne. L’élément central des lois Hartz, à savoir le regroupement des indemnités chômage et des allocations sociales, doit être considéré comme une étape positive. A la question de savoir quel était son avis sur la question du travail des agences intérimaires, que La Gauche dit vouloir interdire, Bartsch a répondu avoir « un avis quelque peu différent. »
Le virage à droite effectué par le SPD, le parti La Gauche et les syndicats correspond à leur réaction face à l’extrême intensification des antagonismes de classes en Europe. Compte tenu de l’étendue des attaques perpétrées par l’élite financière contre les droits sociaux des travailleurs en Europe, ces partis ainsi que les syndicats ne peuvent plus se borner à étouffer la résistance sociale. Ils s’apprêtent maintenant à appliquer un nouvel agenda 2020 et une nouvelle série de lois antisociales.