Comprendre la culture du viol

Publié le 20 mars 2013 par Juval @valerieCG

A Steubenville, une jeune fille a été violée. Plus exactement, après qu’elle soit en plein coma éthylique, elle a été transportée de lieu en lieu par deux adolescents rigolards, violée et filmée, sous le regard d’autres personnes.  Des photos et videos ont été publiées sur les réseaux sociaux dont certaines plaisantant sur ce viol. Certains ont même twitté la scène en direct avec le hashtag #rape.
Viol, films et rigolade.
Le 18 mars l’un a été condamné à un an de prison, l’autre à deux ans. Le même jour deux adolescentes étaient arrêtées pour avoir menacé de mort la victime sur Twitter.
Laurie Penny déclare que « Steubenville is rape culture’s Abu Ghraib moment. It’s the moment when America and the world are being forced, despite ourselves, to confront the real human horror of the rapes and sexual assaults that take place in their thousands every day in our communities. »

Alors c’est quoi la rape culture ? Comme le demande Henry Rollins « What made these young people think that that what they did was ok? What was in their upbringing, the information and morals instilled in them that allowed them to do what they did, minute after minute, laughing, joking, documenting it and then calling it a night and going home? »

Ce fait-divers nous montre, dans toute son horreur, ce qu’est la culture du viol, ce qu’est une société où non seulement l’on viole, mais où l’on encourage, entraîne, pousse à trouver le viol normal, inévitable, naturel et au fond drôle.

Il serait simple – et c’est ce qui est en général fait – de se dire qu’on est face à des gens ivres, qui ont perdu conscience de ce qu’ils faisaient, ou des fous, ou des malades. Notre société est alors bien malade pour produire autant de gens ivres, autant de gens inconscients, autant de fous, autant de malades.

Il a toujours été plus facile de faire du viol un problème individuel qu’un problème collectif.

Quel bon dieu de société est capable de produire des gens qui se filment en train de violer une femme ?

La même société qui fait qu’un comique, lors du festival des oscars,  fait un sketch à base de « j’ai vu tes seins » et montre des films où des femmes sont certes nues, mais en train d’être violées.

La même société qui mélange la vie privée de DSK – qui ne regarde personne – et les actes délictueux qu’il a commis.

Nous vivons dans des sociétés qui excusent, banalisent, normalisent, tolèrent le viol.

Les violeurs de Steubenville sourient tout comme les violeurs de Créteil osaient insulter et interpeller leur victime parce qu’ils n’ont aucune conscience que violer est grave.

Dans nos sociétés on envisage que cette jeune fille violée n’aurait pas du boire. On envisage que la touriste suisse n’avait qu’à ne pas aller en Inde. On envisage qu’on n’avait qu’à pas s’habiller ainsi. On envisage qu’on n’avait qu’à sortir moins tard. On envisage qu’on n’avait qu’à être accompagnée. On envisage qu’on peut instaurer des couvre-feux pour les femmes.

On n’envisage pas que les hommes n’ont qu’à ne pas boire. On n’envisage pas que les hommes n’ont pas à violer. On n’envisage pas que les hommes peuvent ne pas sortir dans la rue le soir.

Le viol est le crime où la victime est accusée de mentir, accusée d’avoir encouragé, accusée d’avoir aimé, accusée d’avoir cherché, accusée de ne pas être assez défigurée, accusée d’avoir bu.

Dans les journaux féminins américains, c’est très à la mode de faire des articles pour dire aux femmes de ne pas boire car elles pourraient être violées ensuite. Je n’ai jamais lu un article dans un magazine masculin conseillant aux hommes de ne pas boire car ils pourraient violer. Jamais lu qu’un homme ne doit pas violer. Jamais lu que non c’est non. Apparemment le viol est commis par des extra-terrestres puisque, si son évocation est omniprésente dans la vie des femmes, elle est absente de celle des hommes.

On apprend aux femmes à se protéger (en restant chez elles) apparemment il n’y a rien à apprendre aux hommes.

Ces temps ci les images de viol filmées au smartphone explosent nous dit Laurie Penny. Des hommes, en toute tranquillité, visage découvert, violent des femmes et se filment. Les jeunes violeurs de Steubenville ont déclaré qu’ils n’avaient pas conscience que ce qu’ils faisaient étaient mal. Lors des procès pour viol chez les mineurs, beaucoup déclarent la même chose. Et je pense que c’est vrai. Je pense que beaucoup de gens – hommes comme femmes – ne savent pas vraiment qu’un viol c’est mal. Que beaucoup de gens ne voient au fond pas grand mal à violer. J’exagère ? 50 000 viols par an en France. Parce qu’il y a toujours de bonnes raisons à dire que cela n’était pas vraiment un viol.

Sauf que la société dans laquelle nous évoluons, nous en sommes tous responsables. Quand nous avons dit « celle là faudra pas s’étonner », quand nous nous sommes branlés sur un porno où la fille après avoir braillé non a fini par dire oui, quand nous avons dit non en espérant qu’il continue quand même, quand nous avons harcelé jusqu’à ce qu’elles disent oui, quand nous avons produit Irreversible où la scène de viol ressemble à un porno chic, quand nous avons dit à une féministe qu’elle méritait un bon coup de bite, quand nous avons dit à une copine qu’elle n’avait pas qu’à autant boire et puis que ce mec il est sympa, quand nous avons condamné à une peine légère un violeur car il a depuis refait sa vie, quand nous avons filmé des images de viol, quand nous avons parlé de troussage de domestique, quand nous avons commenté le physique d’une supposée victime, quand nous avons dit que c’était la meilleure chose qui pouvait lui arriver, quand nous avons souhaité le viol d’une adversaire politique, quand une journaliste de CNN pleure sur la vie détruite de deux adolescents, quand une journaliste française pleure sur le sort d’un accusé célèbre, quand on explique qu’une gamine de 13 ans faisait plus vieux, quand des flics violent des prostituées en toute impunité, quand Lara Logan est accusée d’avoir traîné dans des lieux où elle n’avait pas à être, quand une femme dit qu’un chanteur connu venait coucher avec elle alors qu’elle avait 14 ans, quand une tentative de viol dans un jeu video est jugée excitante, quand nous avons tu notre viol parce que le dire était le meilleur moyen de voir notre vie foutue en l’air.

La culture du viol naturalise le viol ; elle explique qu’il existera toujours et qu’il faut faire avec. Elle valide les mythes autour du viol comme de dire que le viol est commis en majorité par des étrangers alors que la plupart des viols sont commis par des hommes connus par la victime. Elle sexualise le viol en disant que le viol a quelque chose à voir avec la sexualité ; et qui irait se plaindre de la sexualité, c’est bon la sexualité non ?