FOLK ROCK BLUESY – Big Harp est un duo pas comme les autres. Que ce soit en groupe ou dans la vie privée, les deux acolytes, Chris Senseney et Stefanie Drootin-Senseney, font tout ensemble. Mariage, bébés et musique. Une recette apparemment efficace si l’on conçoit que leur premier album a été composé en une semaine seulement dans la chambre des parents de Stefanie. Enclin à la spontanéité et à l’aventure, le couple remet le couvert dans cette dynamique avec un deuxième opus. Cette fois cependant, les deux congénères sortent de leur isolement et se donnent la peine d’inviter des amis tout en essayant de se renouveler. Réussissent-ils alors à garder leur fraicheur naturelle ou ont-ils perdu de leur superbe à trop se chercher ?
C’est ainsi que l’album s’ouvre sur le très beau "You can’t save them all", mélange de guitares sales ou sèches, de violon et de percussions légères ou dansantes. La voix de Chris Senseney donne le ton par son timbre graveleux et nous entraîne avec nonchalance dans un univers clair-obscur où, malgré les ténèbres, on danse et chante, on s’accommode de son sort. La basse est en ce sens très lourde et granuleuse. Les guitares, souvent saturées par une « disto tranchante ». La lourdeur et la saleté font entièrement partie de cet univers sans être crasse toutefois. De facto, le duo introduit aussi beaucoup de légèreté et de lumière dans son univers gai et moribond. Le rythme est ainsi simple et entrainant voire parfois carrément tango.
Concrètement, on a donc affaire à un monde musical qui se veut folk-rock au départ, soit très traditionnel, mais qui ensuite se développe pour adjoindre toutes sortes d’éléments nouveaux, qu’ils soient « bluesy », « old school » ou pianistiques. Si Big Harp est très bon dans ce genre, c’est que le duo ne se prive pas d’ajouter à son gré tout ce qui lui fait plaisir. On peut relever à cet effet le style piano bar qui s’ajoute à l’ensemble. Encore, les fluctuations de la voix du chanteur qui sait se faire joyeux et décadent, l’incorporation de registres variés et/ou étranger au folk (comme le swing), ou même des tremolos de guitare façon contemporaine. Sans compter- il faut le mentionner- les nombreux effets posés sur chaque instrument qui rendent le tout plus riche.
Certains titres nous invitent ainsi véritablement à entrer comme dans un bar où un crooner et un groupe de folk-rock auraient décidé de se faire un bœuf. Véritable lamentos « bluesy », ces morceaux se font à la fois soul et très rock n’roll, dilettantes et révoltés. Le duo induit de cette façon des contrastes détonants qui donnent beaucoup de saveur à cet album. Inversement, d’autres fois, c’est le côté ballade qui prend le dessus, rendant une note d’espoir à l’auditeur avant de l’entrainer dans un swing sale et endiablé comme pour se moquer du malheur ou de l’absurdité du monde que le duo dépeint. Véritable touche de bonheur, d’autres titres nous promènent dans un monde et un temps à la fois merveilleux et chaleureux mais parfois révolu. Au point que le chanteur nous en transmet la nostalgie et le manque.
Au final, un album extrêmement sensible, touchant et accrocheur. Big Harp réussit le pari de nous entraîner dans sa folie douce et musicale, ultime rempart face à un monde que le duo conçoit comme obscur et difficile à vivre mais pas forcément désagréable en soi. Le combo se fait ici plaisir et apprend à lâcher prise en s’appropriant un genre qui lui permet d’exprimer son bonheur au sein du chaos. Un album tout en puissance et en finesse qui donne le sourire. A recommander à tout amateur du genre ou simple jouisseur du quotidien.