-L'Europe, protégeant jusqu'à maintenant les dépôts, va t-elle se retourner contre eux ?-
Dimanche, j’ai appris avec stupeur que pour lutter contre les difficultés monétaires et bancaires, l’Union Européenne en accord avec les dirigeants chypriotes allait taxer directement les dépôts pour régler les problèmes. Cette nouvelle a rapidement fait scandale parmi les chypriotes qui se sentent volés, dépossédés des économies qu’ils ont faites pendant parfois des décennies de travail. Et pour cause, c’est une première depuis le début des difficultés touchant divers pays de la zone euro. Pas même les grecs, les espagnols ou encore les irlandais et les portugais n’avaient eu à être taxés ainsi. Voyons donc selon quelles modalités cette décision devrait être mise en place et pourquoi c’est un nouveau mauvais signal pour l’économie européenne et sa monnaie.
La décision et sa justification
La décision provient en fait de la situation économique de l’île de Chypre, petit pays de l’Union Européenne faisant aussi partie de la zone euro. En effet, malgré une relative opacité médiatique sur la situation de cette économie (sans doute due à l’exposition des difficultés des pays plus gros comme la Grèce ou l’Espagne), il apparaît que l’île aurait besoin de 17 milliards d’euros (l’équivalent du PIB de l’Etat chypriote) pour aider son système financier aux abois. En effet, ce dernier est en difficulté car il a du renoncer à des fonds investis dans la dette grecque, sur laquelle fut décidée une restructuration de fait dans les différentes négociations et plan de sauvetage (voir nos articles précédents sur la question).
Chypre a donc besoin d’aide : un nouveau pays de l’Union fait appel à l’aide dès juin 2012 pour bénéficier de la solidarité européenne mise en place avec le Mécanisme Européen de Stabilité. Mais cette aide n’arrive pas. Dernièrement se négocie pourtant cette aide : le 16 mars, le FMI et l’Union Européenne acceptent de verser 10 milliards d’Euros à condition que Chypre taxe les dépôts pour compléter la somme. Plusieurs chiffres sont donnés, mais il semble que les dépôts soient taxés à hauteur de 6,75 pour cent pour les comptes sous 100 000 euros et à hauteur de 9,99 pour cent au-delà. Les intérêts de ces dépôts sont aussi retenus. En plus, la taxe sur les entreprises passe de 10 à 12,5 pour cent et des privatisations sont prévues.
Comme voile morale justifiant la décision est évoqué le fait que l’île de Chypre fut une sorte de plateforme accueillant des fonds sales provenant de la mafia russe. Néanmoins, comme le signale Olivier Delamarche (sur BFM Business ce mardi), ce fait précède sans doute l’entrée de Chypre dans l’UE (2004) et dans la zone euro (2008) et cette justification semble opportuniste et tomber à point nommé pour faire passer plus facilement une taxe qui est aussi et surtout destinée à éponger les pertes des banques chypriotes. De toute évidence, il n’est pas question de remettre en question l’entrée de Chypre, un paradis fiscal, dans l’UE et l’euro, alors même qu’on lutte contre ces paradis fiscaux et que cette île connaît à présent des problèmes économiques. La taxe sur les dépôts est donc une punition générale pour quelques mauvais élèves… Quelle injustice !
Une injustice d’autant plus évidente selon Charles Gave (sur son blog) qui dit que les plus touchés ne seront pas les plus riches ou la mafia, mais les classes moyennes et populaires. En effet, les premiers ne possèdent pas la majorité de leurs actifs financiers en dépôts d’argent mais en bonds ou en actions, qui ne sont pas touchés. Cette injustice amena à contester la validité de la décision pour les comptes de 25 000 euros, ce qui a porté ses fruits, puisque tous les comptes de moins de 100 000 euros seront épargnés. Mais de ce fait, la somme réunie sera moins importante, à moins que le taux soit augmenté pour les contributeurs restant.
Un mauvais signal qui pourrait avoir des conséquences lourdes
En plus d’être impopulaire, cette décision envoie aussi un mauvais signal, qui plus est dans un contexte déjà instable depuis plusieurs années. Ce signal est mauvais à plusieurs titres.
D’abord, il s’agit d’un mauvais signal politique et démocratique envoyé aux peuples européens. Nous savions déjà que l’Union Européenne émanait d’une construction permanente et que les limites de ses interventions politiques étaient en évolution chronique. Il est également clair depuis plusieurs années que l’Union Européenne prend de plus en plus d’importance dans les décisions économiques et politiques, prenant le pas petit à petit sur la souveraineté des Etats européens et en étant parfois en contradiction avec elle-même (notamment sur le rachat des dettes européennes par la BCE). Mais jamais une telle pirouette politique n’a autant bafoué aussi bien la souveraineté des Etats que les principes fondamentaux. En effet, la décision a semble t-il été imposée aux dirigeants chypriote : le président de l’île s’est dit retrouvé devant le fait accompli. Aussi la décision a été prise avant même que le parlement n’en débatte (il l’a fait en ce mardi, nous le verrons ensuite). Aucun article ne permet de tels procédures : tout cela fait que la question de l’Etat de droit devient secondaire. Aussi cet « accord » se fait au nez et à la barbe des économies des citoyens, mettant de facto au service de l’Etat une partie de leur travail. Il est clair que dans un contexte de recrudescence de la critique de l’Union Européenne (voir les dernières élections en Italie), cet évènement aura un impact.
Ensuite, économiquement, une telle mesure est inquiétante. En effet, l’annonce a suscité la panique, d’autant que les comptes bancaires, agences, distributeurs et sites web ont été bloqués jusqu’à jeudi pour empêcher les retraits et assurer le transfert d’argent. La décision en elle-même entraîne une baisse de la confiance sur les banques chypriote au lieu de les aider à s’en sortir. En effet, les capitaux pourraient fuir prochainement l’île, ainsi que d’autres pays en difficulté, pour se concentrer vers les pays les plus sûrs du continent, comme l’Allemagne. De ce fait, cela aggraverait la récession dans les pays en difficulté et cela entraînerait des problèmes d’endettement toujours plus importants. Si cette décision devient effective, elle pourrait être le précédent à plusieurs autres vagues de taxation des dépôts ailleurs, et provoquer des bank run. Or les banques ayant déjà prêté leurs dépôts pourraient demander nombre de remboursement de prêt. Mais elles ne seraient pas sûres de les revoir et pourraient donc faire faillite, comme d’ailleurs d’autres entreprises. Il serait aussi beaucoup plus difficile d’obtenir un prêt, et la circulation interbancaire baisserait (du fait de la baisse de confiance) ce qui aggraverait la dépression.
Une lueur d’espoir ?
Mais en ce mardi, une lueur d’espoir est apparue. En effet, le parlement chypriote, dans un premier temps bafoué et devancé par la troïka a du se prononcer tout de même sur le sujet. Courageusement et démocratiquement, les représentants du peuple chypriote ont rejeté le plan de sauvetage, annulant donc la taxe sur les dépôts pour le moment. C’est donc une leçon de démocratie et de souveraineté qui a été donnée. Mais pour autant, le problème existe toujours : Chypre reste en difficulté, et la confiance, malgré tout est encore dégradée. De même, les instances européennes n’ont peut-être pas dit leur dernier mot, surtout quand on se rappelle du sort qui fut réservé à l’idée de consultation évoquée par Papandréou en Grèce. De toute évidence, après les grecs, les irlandais, les espagnols, les portugais, les italiens, les chypriotes n’en ont sans doute pas terminé avec les difficultés et injonctions européennes.
Pour conclure, la troïka a fait une expérience avec cette décision. Il s’agissait de tester en quelque sorte de savoir ce que les citoyens pouvaient accepter au nom de la crise. Avec cette réponse, les instances européennes sont prévenues. Mais le problème n’étant pas résolu, et l’Union Européenne ne voulant pas verser les 17 milliards en totalité, il faudrait soit forcer les mains des chypriotes (ce qui paraît improbable et fou, mais sait-on jamais), soit trouver d’autres solutions. Or, quand on voit ce que nous sortent là les « technocrates » comme solution, rien ne nous permet d’être optimistes, d’autant que les problèmes d’autres pays restent en suspend et que le continent est en ralentissement économique.
Sources
http://finance.blog.lemonde.fr/2013/03/17/chypre-leurope-confisque-une-part-les-depots-bancaires/http://philippeherlin.blogspot.fr/2013/03/alerte-la-spoliation-des-epargnants.htmlhttp://institutdeslibertes.org/chypre-plus-quun-crime-une-faute/http://lejournaldusiecle.com/2013/03/18/le-probleme-de-chypre-et-ses-consequences-par-jacques-sapir/http://www.france24.com/fr/20130319-parlement-chypriote-rejette-taxe-comptes-bancaires
Vincent Decombe