Sur le plan de l’actualité politique, les dirigeants européens se sont réunis en sommet, mardi dernier, à Bruxelles. Ils devaient notamment entériner l’obligation qui va être faite désormais aux Etats, de soumettre leurs budgets nationaux à la Commission bruxelloise, avant le vote des parlements. Adoptée par le Parlement européen, la nouvelle législation, qui octroie un droit de regard à la Commission sur la construction du budget des Etats membres, entrera en vigueur dès le printemps.
Ainsi, l’étau se resserre. Après les 27 capitales, les eurodéputés ont ainsi confirmé, à une écrasante majorité, que la Commission européenne aura, dès cet automne, un droit de regard sur chaque budget national ainsi que sur le débat parlementaire qui précède le vote. Ce contrôle européen, qui fait craindre une perte décisive de souveraineté dans les rangs de l’Assemblée nationale, se veut ainsi l’aboutissement logiquement d’un resserrement de la discipline budgétaire collective, initié il y a plus de trois ans par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Cela signifie que l’on peut fermer la mêlée parlementaire du Palais Bourbon. Le vote du budget est pourtant une attribution élémentaire du parlement, dans une démocratie. Les députés perdent ainsi de leurs prérogatives initiales, les commissaires de Bruxelles ayant au préalable imposé leur diktat. Nos chers députés ne pourront que plus se soumettre ou se démettre. Cela tombe bien, le gouvernement socialiste cherche à faire des économies et entend supprimer le cumul des mandats. Pour le reste, il légiférera par ordonnance. Le vote du budget, des impôts, des dépenses par les représentants du peuple, fut pourtant aux sources de la démocratie. C’est ainsi que les révolutions ont commencé en Angleterre et puis en France.
Chaque année, en votant la loi de finances, le Parlement donne à l’État l’autorisation de percevoir l’impôt. C’est un moment clé et l’un des temps forts de la démocratie représentative. En effet, dès qu’il est voté, l’impôt est obligatoire. Il est donc fondamental que l’ensemble des citoyens, par l’intermédiaire de leurs représentants, donnent leur consentement à l’impôt. C’est un acte solennel, un des temps forts de la vie parlementaire, qui se répète chaque automne et constitue un fondement de la démocratie (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’impôt). Le consentement à l’impôt est aux sources même du principe parlementaire. Historiquement, les premiers Parlements étaient convoqués par les souverains pour réunir les sommes nécessaires à l’État. C’était le cas en France avec la réunion des États Généraux. Reprenant l’héritage de l’Ancien Régime, la Révolution française a maintenu, développé et théorisé le rôle du Parlement dans la formation et le vote de l’impôt. Trois articles (13, 14 et 15) de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en font un principe fondamental.
Il y a vingt ans, Philippe Séguin avait prophétisé, lors du référendum sur Maastricht : « Ce sera la revanche sur 1789 ». « La bête des Vosges » ne s’était pas trompée. L’autre grande arme économique des Etats, la monnaie, avait alors été confié à un aéropage de technocrates rassemblés dans une Banque Centrale Européenne, qui depuis lors, défend farouchement son indépendance. Suivant l’analyse zemmourienne, avec les budgets sous contrôle de commissaires non élus, l’Europe ferme une parenthèse démocratique de plusieurs siècles. C’est ce que le philosophe allemand Habermas appelle « l’autocratie post-démocratique », en langage courant, la dictature des technocrates. En France, les politiques bougonnent, marmonnent, protestent, mais ils sont piégés. La gauche est depuis un siècle, internationaliste, européenne, fédéraliste. Mais cette Europe fédérale se construit pour mettre en place une politique d’austérité, qui l’horripile. La droite française, depuis le général de Gaulle, est censée défendre l’indépendance de la France. Mais elle approuve cette rigueur, qu’un des siens, Sarkozy, avait accepté sans broncher.
Quand les peuples votent, ils rejettent violemment la politique imposée par Bruxelles. L’Italien Mario Monti l’a rudement appris à ses dépens. Mais Bruxelles est sourde, sûre d’être dans le vrai, sûre de « sa réussite », comme dit le Portugais Manuelo Barroso, un mot parfaitement choisi par le président de la commission. Sept pays de la zone euro sont en récession, neuf sont en stagnation. Un seul pays est florissant, l’Allemagne, se donne fièrement en exemple, et inspire la politique imposée par Bruxelles, qui n’est en réalité, qu’un relais de l’actuelle hégémonie germanique. Mais le cocktail berlinois de monnaie forte, de libre-échange et de rigueur répond aux besoins de l’Allemagne : sa démographie faiblarde et son industrie puissante à forte valeur ajoutée. L’inverse exact de la France. Mais les peuples ne s’y trompent pas. Angela Merkel sert souvent de bouc-émissaire et est souvent visé dans les manifestations à Athènes ou Madrid. En Italie, ceux qui criaient le plus fort contre l’Euro et l’Allemagne, ont gagné.
A Bruxelles, comme à Paris, on dénonce le populisme, on craint le retour des nationalismes. Mais les tensions montent. Il y a cinquante ans, l’Europe a été fondé au nom de la paix et de la démocratie. La démocratie ne subsiste comme un décor. Reste la paix. Pour combien de temps ?
J. D.