Fait rare en Afrique de l'Ouest, où l'homosexualité est violemment réprimée, il existe à Abidjan, en Côte d'Ivoire, une boîte de nuit gay. Un lieu qui va cependant fermer à la fin de mars, pour cause de changement de propriétaire.
Assis dans des fauteuils en similicuir, serrés les uns contre les autres par manque de place, ou dansant sur la piste sous la boule à facettes et devant un grand miroir, des hommes et quelques femmes ne craignent pas d'afficher leur homosexualité, dans un pays qui stigmatise pourtant les gays.
Ce bar ne désemplit pas, et sa fermeture (liée au rachat de l'immeuble), prévue pour la fin de mars, désole les clients. Habillé d'un boubou bleu et blanc, Jean*, pêcheur de 23 ans, y vient au moins quatre fois par semaine. « Ça me rend trop triste. Ce bar est sécurisé, on peut prendre le taxi juste devant. J'ai de la chance car je ne porte pas d'habits efféminés, donc je peux aller ailleurs, mais comment vont faire les autres si ce bar ferme ? Il y a un mois ou deux, des hommes appartenant aux FRCI [Forces républicaines de Côte d'Ivoire, créées en mars 2011 par le président Alassane Ouattara, NDLR] sont entrés dans un autre bar où nous étions, à Abobo [commune d'Abidjan], nous ont frappés et nous ont pris téléphones et argent. »
"Être libres"
La boîte a ouvert en 2005, après que trois autres bars gays avaient fermés, faute de clients. « Nous voulions un coin où nous pourrions être libres. Il n'est pas prudent d'aller dans les bars lambda », raconte Ousmane, qui travaille dans l'établissement.
Devant le club, situé dans une rue calme, une dizaine de personnes discutent, fument, boivent une bière sous un auvent en tôle ou assises sur le bord d'un bac à fleurs. Sur le trottoir, il y a toujours quelques taxis rouges à attendre les fêtards.
Jean-Marc, un cadre de banque de 35 ans, bière à la main et look classique, s'inquiète pour les plus jeunes. « Ici, on n'est pas obligé de se cacher. Moi, si j'ai envie, je peux aller dans des bars gay-friendly, où les homosexuels sont tolérés sans que ce soit affiché comme tel. J'ai les moyens financiers d'aller ailleurs. Mais les autres, les “petits” qui se travestissent, où vont-ils aller ? Ici, la bière n'est qu'à 1 000 francs CFA [1,5 euro] ».
Les autres, c'est notamment Camilla, transsexuelle. Ce soir-là, cette lycéenne de 19 ans porte un haut moulant léopard laissant apparaître son nombril et une fleur rose dans les cheveux. « Il n'y a qu'ici que je me sens en sécurité, car il n'y a que des homosexuels. Quand le bar va fermer, je ne saurai plus où aller pour m'amuser », explique-t-elle à l'extérieur. Non loin, de jeunes travestis, cigarette à la main, discutent bruyamment.
Discrétion
Un autre bar ambitionne de devenir le prochain club homo d'Abidjan, mais, pour des questions de sécurité, les gérants veulent plus de discrétion. « On ne veut plus qu'il y ait des attroupements dehors, pour éviter les problèmes et les plaintes. Souvent, il y a des vols devant le bar. Certains se font passer pour des homos pour voler les portables », explique Ousmane.
Dans un rapport, plusieurs organisations de défense des droits des homosexuels dénoncent d'ailleurs les violences perpétrées par les forces de l'ordre à l'encontre des gays.
« Depuis avril 2011 […] des éléments de patrouille nocturne des FRCI […] ont débarqué dans un bar fréquenté en majorité par la communauté gay d'Abidjan. À chaque descente, les FRCI donnaient l'ordre à tous ceux qui étaient efféminés ou travestis de monter à bord de leur cargo [véhicule]. […] La propriétaire du bar a payé la somme de 25 000 francs CFA [38 euros] par individu pour qu'ils soient relâchés », indique le document.
Des violences confirmées par Ousmane : « À la veille de la Tabaski [Aïd el-Kébir] 2012, des FRCI nous ont braqués. Ils ont pris la recette de la caisse, tout l'argent et les portables des clients du bar. »
* Tous les prénoms ont été modifiés.
________
Par Aurélie Fontaine, à Abidjan