Les histoires de tueurs en série ne manquent pas à l'appel. Certains pourraient même penser qu'on en mange à la pelle. D'ailleurs, en ce moment - vous l'aurez peut-être remarqué- la mode est aux serial-killers sympathiques et drôles, ceux avec qui, pour un peu, on irait manger le bout de gras.
Bien loin de toute surenchère thrilleristique, Gilles Schlesser, dans La Mort n'a pas d'amis, a choisi une toute autre approche, sans doute parce que son propos n'est pas de s'inscrire dans une veine spécifique de la littérature policière. On sent plutôt à travers les 237 pages de ce roman tout le plaisir - communicatif - qu'il a eu à l'écrire, à partager avec nous sa passion des quartiers parisiens et du courant surréaliste, sans jamais se révéler pontifiant.
1925. Camille Baulay, plus connue sous le pseudonyme de Oxy B pour ses lecteurs, reporter spécialisée dans les faits divers et autres affaires de mœurs, est contactée par le commissaire Gardel. Ce dernier, qui semble éprouver une réelle affection pour la jeune femme, lui offre sur un plateau la primeur d'une scène de crime pour le moins inhabituelle et énigmatique. Un homme a été poignardé et la mise en scène entourant ce meurtre laisse perplexe. L'assassin a cousu une cape rouge sur la veste de sa victime, laissé une pomme dans sa main et peint son sexe à la peinture noire. Un meurtre plus tard, Camille réalise que les cadavres semés selon un ordre et des endroits bien précis dans Paris auraient un lien avec un tableau de Max Ernst, le Rendez-vous des amis, et par extension, avec les surréalistes. Elle aura tôt fait d'aller à la rencontre d'André Breton, de Robert Desnos et autres acteurs de ce mouvement pour tenter de comprendre l'origine des meurtres.
Les pages de La Mort n'a pas d'amis filent, filent, filent. Gilles Schlesser, en s'accommodant des codes du polar et en livrant une enquête s'avérant finalement assez classique, parvient à capter le lecteur de bout en bout. Par l'époque qu'il a choisie d'abord, un 1925 où l'on devine les stigmates d'une guerre mondiale sans encore sentir les prémices d'une autre à venir, par ses personnages d'une vitalité, d'une hardiesse ou d'une folie irrésistibles et, sans aucun doute, par cette immersion en terre surréaliste. Avec Camille, frondeuse épatante et enthousiasmante, on se fond dans le décor et la mécanique souvent entropique impulsée par André Breton. Qu'il s'agisse des jeux et exercices littéraires mais aussi des rivalités qui opposèrent les surréalistes entre eux ou envers ceux qui, à travers le temps, s'étaient inscrits dans une vision de la réalité incompatible avec la leur, on suit tout cela avec un vif intérêt.
Au final, on ressort même de cette lecture avec l'envie d'en savoir plus, la curiosité vissée au cerveau, et enchanté d'avoir côtoyé un temps les personnages qui jalonnent ce récit, dans lequel Gilles Schlesser a su combiner à merveille érudition, humour et enquête. Loin des modes, donc, tout à la passion de son histoire, de l'Histoire et de ceux qui l'ont écrite... à leur façon.
La Mort n'a pas d'amis, de Gilles Schlesser, Parigramme , 2013, 237 p.